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La princesse Guédroïtz, avertie de ma visite, nous fait savoir qu’elle me recevra au grand hôpital. J’y arrive presque en même temps qu’un convoi de blessés amenés du front par un des trains sanitaires impériaux. Déjà leurs vêtemens sont là, dans des sacs, prêts à partir pour la désinfection. Eux-mêmes en ont revêtu de nouveaux et attendent qu’on leur désigne leur salle et leur lit. Dans un coin, un infirmier est en train de procéder au nettoyage de l’un d’eux. Les plus grièvement blessés passent, portés sur des civières. La princesse est auprès des premiers arrivés, dans une des salles de pansement où je la retrouve, affairée, vêtue de la longue blouse réglementaire, une petite calotte de tricot blanc posée sur ses cheveux courts.

Grande amie de la France, élève du professeur Roux, la distinguée praticienne m’accueille avec un intérêt vraiment amical. Je m’excuse d’arriver à un moment aussi inopportun.

— Au contraire, c’est bien plus intéressant pour vous !

Et, se tournant vers un blessé qui attend sur une civière que son tour vienne d’être pansé :

— D’où viens-tu ? lui demande-t-elle.

— Du front de Dvinsk.

— Comment êtes-vous là-bas ?

— On a des munitions tant qu’on en veut et les Allemands reculent, répond le blessé avec un rapide éclair de contentement dans les yeux.

Cette disette de munitions dont ils ont tant souffert est finie enfin. Aussi, quelle différence entre les retours du front, d’il y a trois mois, et ceux d’aujourd’hui ! Alors, c’était la tristesse, l’abattement ; maintenant, c’est la confiance, presque la joie. Alors, on se taisait ou on détournait la tête à toutes les questions. Maintenant, au moindre mot, on ne tarit plus, « Nous les aurons ! » disent nos braves poilus de France en parlant des Allemands. « Slaou Bogou (grâce à Dieu), ils n’avanceront plus ! » répètent les Russes, qui n’ont pas renoncé à entrer à Berlin.

Que de souffrances à endurer d’ici là ! La princesse Guédroïtz me montre deux mains, horriblement mutilées par des balles dum-dum.

Mais il y a pire encore. On m’a cité le cas d’un officier.