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Afin qu’il me soit possible de donner aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes une idée exacte de ce que l’Impératrice a voulu qu’on accomplit à Sélo, au point de vue sanitaire, le colonel de Viltchkowsky, délégué principal de la Croix-Rouge et chef de tous les hôpitaux du rayon de Sa Majesté, a décidé de me faire visiter quatre hôpitaux de destination et d’aménagement différens : un hôpital pour les contusionnés, un pour les tétaniques, un hôpital militaire et enfin celui qui est installé pour les officiers dans la partie du palais qui porte le nom du grand-duc Paul.

L’histoire de l’hôpital n° 10, réservé aux contusionnés, commence comme un conte. Il y avait une fois, dans un gouvernement de Russie, un petit moujik du nom de Komaroff. Dévoré d’ambition, il s’accommodait mal de la touloupe paysanne et rêvait de troquer l’isba paternelle contre une maison de pierre. Bakou l’attirait. Il n’ignorait pas que, dans l’immense ville au sous-sol de naphte, les fortunes jaillissent comme par miracle avec les flots du liquide précieux. Il y arriva donc un matin, lourd d’espérance et léger d’argent. A force de ténacité, de privations et d’habileté, il réussit à se constituer un petit pécule, entra dans la banque et finalement y réalisa une fortune de 40 millions de roubles (environ cent millions de francs). Son rêve de moujik était accompli. Non seulement la touloupe en peau de mouton avait été remplacée depuis longtemps par quelque riche pelisse de fourrures, mais les architectes de Pétersbourg construisaient pour lui une magnifique villa dans une des avenues les plus distinguées de Tsarskoié-Sélo.. « Quand l’oiseau a fait son nid... » dit le proverbe. Cette fois encore, les événemens confirmèrent la « sagesse des nations. » Komaroff mourut peu de temps après avoir pris possession de sa nouvelle demeure. Lorsque la guerre éclata, ses héritiers l’offrirent à l’Impératrice pour y installer un hôpital.

Le général de Bouchène, qui en est le directeur, nous reçoit sous la vérandah embellie de plantes vertes. Ce n’est pas seulement l’hygiène et le confort, mais aussi le luxe qui règnent ici. L’ancien jardin d’hiver, au dôme en demi-cintre et vitré, haut de cinq à six mètres, est devenu une salle d’opérations, à laquelle on a adjoint une salle de pansemens. Rien n’y