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bâtie au-dessus d’une crypte qui date des premiers temps du christianisme. Sur la volonté de l’Impératrice, elle a été restaurée dans le vieux style byzantin, et est devenue une église commémorative. Les noms de tous les officiers et de tous les soldats morts des suites de leurs blessures dans les hôpitaux de Tsarskoié-Sélo y sont inscrits sur des plaques de marbre noir.

Sur un petit autel, devant un des piliers de la crypte, le pope, en habits sacerdotaux, célèbre un office commémoratif. L’assistance est bien humble, bien modeste : une sœur, deux ou trois femmes, quelques enfans... Sans doute il s’agit de quelque pauvre soldat d’un gouvernement lointain de Russie ou de Sibérie, dont la famille n’a pu être prévenue à temps. Mais comme on prie pour cet inconnu, comme on le regrette ! Vivant, il n’a peut-être jamais été autant aimé ! Et je m’imagine que ces prières doivent le réchauffer un peu dans sa tombe...

L’office terminé, le pope vient à nous. Il a une fort belle prestance avec sa barbe blonde, ses cheveux longs, où l’or de la tiare se continue. Ses mains sont fines et blanches et la croix d’or brille sur sa simarre.

L’imagination aidant, je crois voir, descendu pour moi de quelque fresque, un des tsars de la vieille Russie, Jaroslav de Moscou ou Vladimir le Saint, dont la couronne avait l’apparence d’une tiare et qui portaient indifféremment dans leur dextre la croix du prêtre ou le sceptre des Empereurs.

Le décor augmente l’illusion. Le fauteuil impérial, celui du patriarche, les sièges des dignitaires, la chaire, les objets du culte et jusqu’au saint-ciboire que le pope nous présente, tout a été exécuté d’après les plus purs modèles de la sculpture et de l’orfèvrerie byzantines. Les peintures symboliques des murs : le bon berger, les poissons, la vigne et le froment rappellent celles que les siècles effacent lentement aux murs des catacombes ; les lampes qui brûlent devant les icônes auraient pu éclairer les veilles d’un Nicéphore ou d’un Hilarion. Quant à la colombe eucharistique dans laquelle on conserve le Saint Viatique, la pieuse Hélène dont l’église porte le nom ne la désavouerait point.

Ce qui m’a le plus touchée peut-être, c’est le gynécée, ménagé sur le côté droit de l’iconostase pour l’Impératrice, les grandes-duchesses et les dames d’honneur. Qui donc a dit que