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La situation est la même partout, moins grave pour les papiers de luxe ; — on pourra toujours écrire des lettres, faire des cigarettes ou des billets de banque ; — mais, pour le journal, les sacrifices de certains fabricans en faveur de leur clientèle ne suffiront peut-être pas à maintenir le papier à discrétion. Le rationnement nous guette, par voie de diminution obligatoire et légale des formats, qui nous réduirait tous, écrivains et public, à cette nécessité cruelle de dire tout et de tout lire en moins de phrases...

Tous aussi sans doute nous serons amenés, par le souci des intérêts supérieurs de la patrie et sans que l’Etat ait besoin d’intervenir par voie de prohibition douanière, à consentir certaines restrictions dans celles de nos dépenses qui ne sont pas de première nécessité. Cette revue sommaire des prix, en pénétrant les causes de leur augmentation, nous a permis de constater avec plaisir que nos concitoyens, tout en gémissant sur la cherté, ne se soucient pas de « vivre de privations, » suivant le dit vulgaire, et qu’ils ont été jusqu’ici assez riches pour vivre autrement. Mais toute richesse s’épuise ; le change doit nous avertir que nous vivons sur notre capital.

L’Anglais, qui avait des affaires et de l’argent, est moins touché que les autres belligérans ; le Français, qui avait plus d’argent que d’affaires, est en bien meilleure position que l’Allemand, qui, avec plus d’affaires que d’argent, souffre davantage de l’arrêt des affaires et a moins de quoi vivre sur son fonds. Quant à l’Autriche-Hongrie, qui n’avait ni affaires ni argent, du moins à un degré comparable aux autres, son change est aussi le plus malade. Avec notre main-d’œuvre et notre industrie paralysée, avec l’importation plus difficile et plus chère, nous aurions tort de continuer à envoyer tous les mois 500 millions de francs à l’étranger. Nous avons jusqu’ici nargué le renchérissement que nos achats mêmes multiplient ; il sera raisonnable de réserver toutes nos ressources pour la Défense nationale et de nous résigner tous à l’économie. Il n’est, en ces heures tragiques, d’autre prodigalité recommandable que celle des obus.


G. D’AVENEL.