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m’explique que, seule, cette maison a été épargnée jusqu’à présent. Cela tient sans doute à la situation qu’elle occupe dans ce fond où l’ennemi ne peut l’apercevoir.

A ce moment, une explosion formidable nous secoue, et une pluie de tuiles et de gravats s’abat sur la route et sur le toit de notre paillote. Nous nous précipitons dehors et voyons un nuage de fumée noire au-dessus de la ferme que les hommes quittent en toute hâte. Un obus vient d’y éclater.

Les conséquences peuvent être fâcheuses pour nos communications, car c’est dans cette ferme que se trouve notre poste téléphonique. Pourvu qu’il soit encore intact ! Je me hâte de traverser la route pour entrer dans la ferme.

L’obus a éclaté dans la cour du fond, qui se trouve en contre-bas, de sorte que la première pièce dans laquelle je pénètre, — la cuisine, — parait n’avoir rien reçu. Je remarque seulement, le long du mur de droite, un homme qui, affaissé contre un tonneau, cache sa tête dans son bras replié. Sans doute quelque ivrogne qui dans sa torpeur n’a pas eu conscience de ce qui se passait. Je vais rapidement dans la pièce voisine où se trouve notre poste téléphonique. Seul de tous ceux qui se trouvaient dans la maison, le téléphoniste est resté, fidèle à la consigne qui lui interdit d’abandonner ses appareils. Il est précisément en train de faire des appels. La ligne fonctionne. J’appelle donc, au poste de la brigade, le capitaine R..., qui signalera au général le bombardement insolite dont nous sommes l’objet et qui s’occupera de faire intervenir l’artillerie.

Mais j’entends comme des sanglots dans la première pièce. J’y rentre, et je vois que le soldat qui est affaissé le long du mur est secoué par un mouvement convulsif. Une légère écume paraît sur ses lèvres. Un peu de sang teinte sa nuque, où il a été frappé par un petit éclat d’obus. La porte devant laquelle il était assis à terre donne sur l’escalier de la cave, qui, au ras du sol, prend jour par un soupirail. C’est par ce soupirail que l’éclat est entré. Il a traversé la porte et est venu frapper le malheureux qui gît devant nous.

On le transporte dans la grange voisine, et on l’étend sur la paille. Le médecin-major l’ausculte. Il reconnaît les symptômes de la fin prochaine. Ses services étant inutiles, il retourne au poste de secours où l’on peut avoir besoin de lui.

Maintenant c’est un simple brancardier qui s’agenouille