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10 janvier 1915. — Je suis chargé d’exécuter et de tenir à jour les plans de notre secteur, non seulement en ce qui concerne nos lignes, mais encore en ce qui concerne les lignes ennemies. Ce travail est plus important qu’il ne pourrait paraître à première vue. En effet, sur un front de près de cinq kilomètres et une profondeur de trois ou quatre, le sol présente un dédale, de plus en plus inextricable à mesure qu’on se rapproche de la première ligne, de boyaux de communication, de positions de soutien, d’abris et de bastions. De leur côté, nos adversaires en font autant. Il faut donc suivre leurs travaux, et l’état-major de l’armée, en nous transmettant les renseignemens que les avions lui ont fournis sur les tranchées et les emplacemens de batteries allemandes, nous charge de les compléter. Cette tâche me donne donc l’occasion de circuler à peu près tous les jours le long de la première ligne et d’y rencontrer nos camarades fantassins et artilleurs. Ceux-ci me sont d’un secours particulièrement précieux, car, sur les hauteurs où, comme le capitaine B..., ils ont établi leurs observatoires, à l’aide de jumelles binoculaires pittoresquement appelées « bêtes à cornes, » ils-scrutent les moindres détails des retranchemens ennemis. Grâce à eux, je parviens à me reconnaître à peu près dans ces amas de terre blanche qui, des tranchées d’où nous les voyons, paraissent se superposer les uns aux autres, et qu’il m’a fallu quelque temps pour distinguer, malgré les explications données par Du B..., le jour de mon arrivée sur le front.

Précisément, aujourd’hui j’ai quitté notre cantonnement de bonne heure et j’ai fait une longue marche dans les boyaux pour rejoindre Du B... Il remplit les fonctions d’observateur d’artillerie dans les tranchées et s’est installé dans un des rares greniers que le bombardement ait épargnés jusqu’à présent. La cour que je traverse en arrivant à son poste est semée d’entonnoirs de gros obus, et les toits de la ferme du G… ne tiennent plus qu’à moitié. Mais la maison est presque intacte. Elle est restée à peu près telle que l’a laissée le départ précipité de son propriétaire, M. C..., juge au tribunal de la Seine. Cependant il faut éviter de passer par le premier salon. En effet, juste devant ses fenêtres, le bombardement a fait une