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petites mains, tout en mangeant des tartines, les chèvres et les bœufs qui remontent ou qui redescendent le village.


Il est arrivé un petit événement dans la colonie… Un jardinier belge, sa femme et ses cinq enfans sont brusquement repartis comme ils étaient venus.

En même temps qu’un assez mauvais esprit, ce jardinier, paraît-il, était un intarissable parleur. À la table de l’auberge, où certains réfugiés préféraient prendre leurs repas, il ne quittait pas la parole.

— Il parle trop, disaient les autres, tout étourdis par son bagout.

Aussi grand qu’il était bavard, avec d’élégantes jambières de cavalier et de belles culottes de velours qui lui moulaient coquettement les jambes, il passait ses journées à discourir, moitié en flamand et moitié en français, devant la porte de l’auberge, en fumant un petit bout de pipe. Il savait tout, parlait de tout et se moquait de tout le monde.

Il avait deux petits garçons toujours mis comme de petits princes, mais élevés comme de petits sauvages, et qui allaient, chaque après-midi, à la stupéfaction générale, se baigner tout nus dans l’étang. Leur mère, pendant ce temps-là, occupait ses loisirs à confectionner dans la cuisine de l’auberge des ragoûts et des gourmandises dont ils portaient une part à un meunier de leur pays, le meunier au grand coffre, à l’autre extrémité du bourg. Après les avoir vus courir tout nus dans le village, on les y revoyait ainsi faire ensuite les importans dans leurs beaux habits, et porter avec précaution, sous leurs grandes collerettes et leurs jolis chapeaux, des plats où fumaient des sauces. Tout en ne faisant jamais rien que des discours du matin au soir, le jardinier, d’après ce qu’il racontait, ne cessait de recevoir les plus magnifiques propositions de tous les châteaux environnans. Tous les châtelains, à l’entendre, le réclamaient comme maître-fleuriste et lui offraient des gages extraordinaires. Mais il ne se pressait pas de se décider, ne répondait même pas, et déclarait vouloir attendre, afin de pouvoir mieux choisir, quand on avait appris qu’il était parti pour Paris. On les avait tous aperçus un matin, lui, sa femme et ses cinq enfans, remonter vers le petit tramway.