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une salle de bal où l’écriteau de l’orchestre annonçait encore une polka. Puis, on les transportait le lendemain dans une autre localité où ils étaient maintenus tout un mois parqués dans une grange, et où mourait la mère de Mme D..., épuisée d’horreur et de souffrance... Enfin, après avoir encore été traînés de pays en pays, de grange en grange, de caserne en caserne, les malheureux D... se trouvaient jetés un soir dans un wagon à bestiaux, y restaient enfermés trois jours et trois nuits sans savoir où ils étaient emmenés, et débarqués, le quatrième jour, dans une gare inconnue d’eux, où on leur disait qu’ils étaient libres... Ils étaient en Suisse...

Leur premier souci, aussitôt en liberté, avait été de retrouver leurs filles, avec qui les hasards de l’évacuation les avaient ensuite réunis dans le paisible et lointain village de Dordogne, où ils essayaient, à présent, de se réveiller de leur cauchemar. Le père s’en remettait peu à peu, la mère en revenait plus difficilement, les jeunes filles gagnaient la vie de la famille en aidant le régisseur du château dans les travaux de la saison, et tous pensaient avec douleur à la vieille grand’mère restée là-bas !


On a commencé les fauches, et toute la colonie, les petits cultivateurs, le meunier, les mineurs, les employés de fabrique eux-mêmes, sont d’une aide précieuse pour la localité. Les femmes complètent les équipes et, depuis une semaine, en même temps que la bonne odeur du foin nouveau arrive des prairies, l’écho, au lieu de patois, en apporte du flamand. Les hommes abattent l’herbe à grands coups de faux, les femmes fanent en petits jupons, les enfans courent entre les meules en colportant des bouteilles, tous s’appellent ou se répondent dans la langue de leur pays, et c’est une singulière impression que celle de ce paysage nontronnais où, en fermant les yeux, on se croirait dans une campagne des environs d’Ypres ou d’Arras !

Après une série de jours de pluie, il fait maintenant beau et chaud, et les charrettes, dès midi, défilent sur la route, ballottant et disparaissant sous leurs charges, lentement trainées par les bœufs. Tout à l’heure, elles seront devant les granges, et les appels, les cris, les interpellations, s’y échangeront toujours en flamand ou avec l’accent du Nord. Le patois du village