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jalouse les momens de sa pureté parfaite. A Paris, dès la première alarme, — l’auteur de ce roman le note, — on se mit à prononcer ces mots « nous... chez nous... » comme jamais on ne les avait prononcés : et il est naturel qu’aussitôt les écrivains songent à Racine. Simone Davesnes, dans La Veillée des armes, est bien de chez nous, sensible, et avec tant de simplicité, aimante avec douceur, passionnée de tendresse et, même exaltée de passion, toujours lucide : elle a le cœur intelligent. Elle se résigne, et ce n’est pas la fatalité qui la dompte. La souffrance ne l’a point écrasée. Au paroxysme de la souffrance, elle a vu clair et elle a mis en ordre son malheur et son devoir. Elle a pris conscience de l’héroïsme qui lui est demandé. Le chagrin qui l’assaillait, elle a préféré l’accueillir ; et, son sacrifice, elle ne l’a point subi, mais consenti. Frêle contre l’énorme guerre, elle a soin de n’être pas éperdue ou timide ; elle résiste et est secondée par l’exemple des pauvres, par le souvenir des ancêtres, par le patriotisme et par l’amour. Elle sera plus forte que les hasards. Elle ressemble un peu à la France.


M. René Benjamin, lui, nous jette en plein dans la guerre Son roman de Gaspard n’est pas du tout racinien, mais rudement réaliste ; et, comme il y a loin de la jolie chambre où Simone discipline sa tristesse aux tranchées d’Argonne, il y a loin de toute élégance au vif entrain de Gaspard et de ses amis. Peut-être le perpétuel argot de Gaspard et de ses amis nous lasse-t-il avant que nous n’ayons achevé la lecture de tout le roman. Patience ! et, puisque c’est un langage de héros, patience ! Un roman réaliste n’évite guère d’être un peu long : et il nous dure, dès que nous savons le principal, qui tient en quelques feuillets ; mais les heures sont plus longues dans les tranchées que les pages du livre et plus nombreuses, patience ! Un réaliste qui n’insisterait pas, ô merveille ! un tel réaliste serait Maupassant. M. Benjamin, je l’avoue, insiste. Mais la guerre, aussi ! Ce n’est point une guerre, celle-ci, qu’on puisse peindre à l’aquarelle et à petites touches délicates. M. Benjamin ne ménage ni la couleur ni les gros coups de pinceau. Il a, en outre, comme les réalistes les plus récens, une coquetterie verbale assez drôle, une espèce de virtuosité pittoresque et, parfois, un bagout d’artiste fameusement doué. Gaspard ? « Lèvres humides, œil fureteur, cheveux rebelles, un brin de moustache satisfaite, et surtout un nez comique, un long nez tordu mais honnête, ne reniflant que d’une narine mais de la bonne, si bien qu’il semblait que c’était le front, curieux et remuant, qui laissait pendre ce nez à gauche, pour pêcher dans le cœur des idées et des mots... »