Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un quart de siècle et qui, plus utile que jamais quand enfin la paix revenue aura débloqué l’Empire, ne se refera pas en un jour ?

Ou bien est-ce l’émulation surexcitée du prince Henri de Prusse, autre grand amiral, qui a obtenu la disgrâce de M. de Tirpitz ? Le prince Henri brûlerait-il de sortir avec ses cuirassés, ses croiseurs, ses éclaireurs, ses zeppelins, ses hydravions, et de se mesurer en haute mer avec les escadres anglaises, tandis que M. de Tirpitz, buté sur la préexcellence du sous-marin et des torpilleurs, traiterait ses monstres de vingt mille tonnes comme Frédéric-Guillaume Ier traitait ses grenadiers de six pieds et demi, en collectionneur plein de précautions qui a peur qu’on ne les lui casse ? Ou encore est-ce le contraire ? Est-ce M. de Tirpitz qui eût voulu le combat, toutes unités de toute grandeur et de toute vitesse dehors, et le prince Henri qui estime plus sage de l’éviter. Ou bien, hypothèse persistante, serait-ce le duel, non de deux grands amiraux, mais du grand amiral et du chancelier ? M. de Tirpitz serait-il tombé sous les coups de M. de Bethmann-Hollweg, qui n’aime ni qu’on parle de sa mort, ni qu’on pense à son héritage ? Il semble que le Reichstag ait du penchant à le croire. Les trois partis qui, historiquement, ont été les piliers de l’Empire, le Centre, les conservateurs et les nationaux-libéraux, ont déposé des motions demandant que la guerre navale fût poursuivie sans « défaillance » ni « fausse sensibilité. » A cet égard, la nomination, comme successeur de M. de Tirpitz de l’amiral de Capelle, hier son collaborateur, doit leur donner tout apaisement : la conscience lestée du Sussex et de l’Englishman, il commence bien. C’est donc à M. de Bethmann-Hollweg que l’on décochait un blâme indirect. Il a pu esquiver la discussion publique, mais le Reichstag reste de méchante humeur. Le chancelier devait y faire un exposé de la situation politique, qui a été remis d’abord au jeudi 23, puis renvoyé, par prétérition, à une date indéterminée. Le Reichstag a accueilli fraîchement celui de M. Helfferich sur la situation financière ; mal, les projets d’impôts, — contribution de guerre, impôts de consommation, au fond, querelle de classes ; — avec une joie feinte l’annonce du résultat du quatrième emprunt, 10 milliards et demi de marks, dont 75 pour 100 en papier des emprunts antérieurs. Il y a dans cet enthousiasme (tempête d’applaudissemens) quelque chose d’essoufflé. Et M. Haase, soutenu par une fraction des socialistes, a saisi la corde de la cloche d’alarme.

Toutefois, ne nous y méprenons pas, et ne perdons pas de vue les traits essentiels du tempérament allemand. En voici trois qui sont parmi les principaux. — On s’étonne de voir le Kronprinz s’acharner.