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Ainsi, tu ne m’as jamais dit en détail comment tu as été blessé.

VAUCROIX.

Ça n’a pas beaucoup d’intérêt. On m’envoie en reconnaissance. Il pleuvait. On nous a quand même repérés. J’avais avec moi six hommes. Un obus bien placé. — Nous en avons tous pris pour notre grade. — Quatre tués du coup. Un renversé, qui a pu se sauver. Un autre et moi frappés, lui à la jambe, moi à la poitrine. Le lendemain matin, les Boches nous ramassaient, à moitié morts. Et voilà.

JULIE.

Quelles heures tu as dû passer, mon cher chéri, abandonné dans la boue, dans la nuit, dans le froid !

VAUCROIX.

J’avais la fièvre, et, comme on dit, dans le sang chaud on ne se connaît pas.

JULIE.

Et ensuite, ils t’ont maltraité ?

VAUCROIX.

Pour eux, pas trop.

JULIE.

Je suis sûre que tu n’as jamais mangé à ta faim. Ce qu’ils ont dû te donner !...

VAUCROIX.

Leur cuisine, et je te jure que je n’y ai guère pris garde.

JULIE.

Tu vas me juger très sotte. Devine ce que je cherchais dans les journaux, avant le Communiqué ? Ça. Des détails sur la nourriture des prisonniers. Et puis, je me rappelais nos petits diners fins, au restaurant, quand nous arrivions à voler une soirée, toi à ta vie, moi à la mienne. Et je pleurais. Je pleurais... Ce n’est pas sublime, je sais. Que veux-tu ? Je ne suis pas sublime. Non. Mais que je serai contente quand nous nous retrouverons dans un de ces petits coins perdus que tu découvrais,