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mon travail tout de même. La preuve que je ne le faisais que pour toi : aussitôt qu’on a parlé de ton retour possible, il y a deux semaines, j’ai tout quitté. Pourtant je dois dire que ces pauvres gens m’adoraient. Ils m’appelaient la Fée aux mouches, à cause de ces deux petits signes sur ma joue, que tu aimais tant. C’était gentil, pas ? Cela me faisait un peu rire. Mais sois tranquille, je n’ai pas flirté. Et toi ? Il y avait des infirmières dans cet hôpital boche. Est-ce qu’elles le plaisaient ?

VAUCROIX.

Ma pauvre enfant, je ne les ai jamais regardées.

JULIE, avec câlinerie.

Parce que tu pensais à moi ?

VAUCROIX.

Pas seulement à toi.

JULIE.

A qui, alors ?

VAUCROIX.

Mais à mes camarades, à mes soldats, à de pauvres diables dont je ne connais pas les noms, et dont je revoyais les visages convulsés dé douleur dans la mort ou exaltés d’enthousiasme dans l’action, ceux surtout de la dernière attaque où je me suis trouvé avant d’être pris.

JULIE.

Celle où tu as été sous leurs terribles marmites, de sept heures du matin à quatre heures de l’après-midi ? Tu m’as écrit un mot le soir. Je l’ai relu souvent. Si tu avais été tué, — je le croyais, — ç’aurait été le dernier. C’est le combat dont il est parlé dans ta citation. Elle est si belle !

VAUCROIX.

Ce sont mes hommes qui ont été beaux. Pense donc. Nous n’étions qu’un débris de compagnie après ces neuf heures d’enfer. Pas d’abris. Couché en plein champ sous les obus. Presque pas mangé la veille, pas du tout le jour même, et voici que les tirailleurs de l’avant nous reviennent en pagaye, poussés la baïonnette aux reins par les Boches. Je donne l’ordre, et à vingt pas, feu de salve. Les Boches arrêtés sur les jarrets. Je commande