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VISITES AU FRONT.

n’ai rien vu, dans tous mes voyages sur le front, qui donnât une idée plus parfaite de l’éducation française. La représentation de « haute école » devait se terminer par une exhibition des « moyens de transport à travers les âges, » commençant par un char gaulois, guidé par un troupier orné de longues moustaches en crin de cheval et couronné de gui, et se terminant par l’apparition d’un automobile dont le moteur avait été remplacé par un cheval blanc lourd et somnolent. Malheureusement, une averse terrible se mit à tomber pendant les préparatifs de ce numéro sensationnel, et nous dûmes partir sans voir l’arrivée dans l’arène de Vercingétorix suivi de ses guerriers.

16 août.

Dans les montagnes : nous montons et nous descendons pour remonter encore. Départ matinal et longue route dans une interminable vallée gagnant graduellement les hauteurs de l’Est. La voie était encombrée par une procession de camions à bâches traînés par des mules : nous étions sur le chemin d’une place importante des Vosges, et ces convois de provisions ne cessaient ni jour ni nuit.

Enfin nous arrivâmes à un village de montagne à l’ombre des sapins, rafraîchi par un torrent glacé venant des hauteurs. D’un côté de la route, une auberge rustique ; de l’autre, dans les arbres, un chalet occupé par l’état-major de la brigade. Partout autour de nous, un mouvement incessant de petits « chasseurs alpins » coiffés du béret bleu et guêtrés de cuir. Depuis un an, nous lisions le récit des prouesses de ces héros de la montagne et, maintenant, nous nous trouvions au milieu d’eux, heureux de voir leurs visages bronzés et leurs yeux bienveillans et gais. Ils étaient tous pleins de gentillesse, mais bien silencieux et timides pour des Français. Dans le monde entier, certainement le silence des montagnes engendre cette réserve, si différente de la volubilité des gens de la vallée. On nous amena des mules et nous fîmes une longue excursion dans la montagne. Le chemin suivait d’abord des crêtes découvertes d’où la vue plongeait dans des vallées bleues, et continuait à travers des forêts de hêtres et de sapins. Au-dessus de la route s’élevaient à perte de vue des pentes boisées où l’on avait établi des écuries pour les mules ; on en voyait des centaines rangées sous des