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au fond d’un réduit, nous apercevions une mitrailleuse cachée. Souvent, le plafond du tunnel était si bas que nous devions nous plier en deux ; quelquefois, nous franchissions une lourde porte de bois blindée de fer qui isolait une section d’une autre section. Il est difficile d’estimer ce qu’on peut faire de chemin en rampant sans lumières dans des terriers, à des niveaux différens et en faisant d’innombrables circuits ; mais je croirais volontiers que nous avions dû faire un kilomètre sous terre avant d’arriver à une ferme en ruines. Ce bâtiment, dont il ne restait que les murs extérieurs et une ou deux cloisons, avait été transformé en poste d’observation.

À chaque coin, une échelle menait à la hauteur de ce qui avait été le second étage ; là, assis sur une planche, un dragon était posté. En bas, dans les chambres dévastées, c’était la même vie que partout dans ces postes avancés : quelques soldats jouaient à la manille, assis autour d’une table de cuisine ; d’autres raccommodaient leurs vêtemens, faisaient leur correspondance ou riaient ensemble (pas trop haut) en lisant des journaux comiques. On aurait aussi bien pu se croire dans un abri des secondes lignes : les voix basses des soldats qui parlaient, la vivacité avec laquelle on m’empêcha de regarder à travers un trou dans le mur et la présence, en haut, des sentinelles casquées étaient tout ce qui pouvait nous révéler le proche voisinage de l’ennemi.

Nous recommençâmes notre excursion souterraine à travers un tunnel, qui devenait toujours plus sombre et plus étroit. Dans le boyau précédent, on se trouvait parfois à ciel ouvert, et l’on pouvait se redresser et respirer ; mais ici, on était dans l’obscurité la plus profonde, et on eût pu se casser le cou sans la lampe de poche que notre officier levait et baissait tour à tour, afin de nous éclairer quand se présentait une marche ou un brusque tournant.

Le dernier poste avancé était une ferme en ruines, comme l’autre. Elle était reliée au quartier général par le téléphone et gardée, elle aussi, par de silencieux dragons accroupis sur leur observatoire de planches. Cette maison était séparée du boyau par une porte blindée, et, en cas d’attaque, cette porte devait être fermée du dedans et défendue jusqu’à la mort par les hommes du poste extérieur. Nous étions à l’extrémité de la ligne de défense, dominant le village au-dessus duquel nous