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désordonnés, publiés en 1912 et 1914. Le premier porte ce titre sensationnel : Lord Rutland est Shakspeare ; le plus grand des Mystères dévoilé ; Shaxper de Stratford hors cause. Il est complété par un autre : L’auteur d’ « Hamlet » et son monde. C’est un total d’un millier de pages, où il y a bien des redites, bien des digressions et des développemens oiseux. Tout ce fatras sent la hâte et l’improvisation. Aussi a-t-il échappé à l’auteur des inadvertances de détail et quelques incroyables erreurs. Mais elles n’importent pas à l’ensemble, et ce sont les grandes lignes qu’il s’agit de dégager.

Elles esquissent une concordance générale, fort curieuse, en effet, entre l’œuvre shakspearienne et la vie de Roger Manners, cinquième comte de Rutland, né le 6 octobre 1576 au château de Belvoir, mort à Cambridge le 26 juin 1612, âgé de trente-cinq ans et huit mois.

Concordance des faits d’abord. Rutland est plus jeune que Shakspeare de près de douze années, et cet écart arrangerait bien des difficultés relatives à la chronologie des premières œuvres. On sait que nous ne trouvons aucune trace de la production dramatique de Shakspeare avant 1592 et que le petit poème de Vénus et Adonis parait en 1593. William Shakspeare a déjà vingt-huit et vingt-neuf ans. C’est bien tard, dit-on, pour débuter avec des compositions qui offrent tous les caractères de l’adolescence. L’auteur les aurait-il écrites plus tôt et gardées en portefeuille ? L’hypothèse se heurte à des objections très sérieuses, et la critique aime mieux admettre un début tardif que peut expliquer d’ailleurs la nécessité où fut l’auteur de compléter son éducation et de se former par un assez long apprentissage. Mais comme tout est plus simple avec Rutland ! S’il commence par des œuvres d’adolescence, c’est qu’il était alors un adolescent : il a seize ans en 1592, N’est-ce pas même un peu jeune ? Non, car la première version de la première partie de Henry VI est vraiment une tragédie de collège, le découpage dialogué d’une chronique ; et un lettré de Cambridge peut écrire dans sa dix-septième année Vénus et Adonis, dans sa dix-huitième le Rapt de Lucrèce, dans sa dix-neuvième enfin Peines d’amour perdues.

Et avec cette première comédie, M. Demblon a bien plus beau jeu. Elle se passe à Paris, à la cour de Henri IV, et correspond par sa date au passage dans notre capitale du jeune