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méthodes inédites. Mais plutôt d’une reprise à l’autre dans le cours d’une série de conflits que d’un combat à l’autre dans la suite d’une même opération. On a retenu la transformation du matériel naval des Romains, imaginée par le consul Duilius, qui, adjoignant à ses vaisseaux la passerelle d’abordage appelée corbeau, fit du combat naval une affaire d’infanterie et ravit aux Carthaginois la maîtrise de la mer. Cela détermina une des phases de la lutte entre Rome et Carthage ; mais c’était un résultat préparé dans l’intervalle entre deux campagnes. Napoléon, en constituant la Grande Armée et la flottille de Boulogne, puis la gigantesque organisation des armées juxtaposées pour l’expédition de Russie, avait fait avancer de plusieurs pas, par le seul effort de son génie créateur, la science militaire de son temps. Jamais, néanmoins, de deux adversaires poursuivant l’un contre l’autre une même campagne continue, on n’a vu, semble-t-il, comme aujourd’hui, l’un impuissant et comme disqualifié devant l’autre, s’il en fût resté à l’art militaire des premières hostilités.

La bataille de Verdun met en évidence l’évolution de la tactique, jalonnée par trois ou quatre expériences particulièrement démonstratives. Prenons notre point de départ à l’époque de Charleroi ; marquons au passage l’apparition des gaz asphyxians, le 22 avril 1915 ; continuons par les tentatives de mai en Artois et de septembre en Champagne : nous aboutis- sons naturellement à la forme de combat qui se développe à Verdun.


I

En août 1914, on faisait la guerre comme on l’avait prévue dans les écoles d’état-major par le mouvement. On lançait des rideaux de cavalerie, des raids d’automobiles, des charges d’infanterie. On s’abritait un instant seulement, entre deux marches, derrière les haies, dans les fossés des routes, à fleur de sol. La nouveauté, point tout à fait inattendue, était l’effet foudroyant de la grosse artillerie sur les forts. Bientôt l’efficacité des mitrailleuses et des tirs rapides de petite artillerie contraignit à s’enterrer dans des tranchées, et ce fut le premier grand changement. Il date de l’arrêt des Allemands sur l’Aisne, dans leur retraite après la Marne.