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l’heure où l’âme se détend, comprend et s’élève jusqu’à l’infini — l’heure divine !

Couchers de soleil d’Orient que l’on a si magnifiquement chantés, vous avait-on rêvés ainsi ? Vous avait-on rêvés pour apaiser l’étrange frisson de ceux qui voudraient tout donner pour le pays et qui ne peuvent pas grand’chose ?


Moudros, août 1915.

Oh ! cette poussière qui nous a aveuglés, nous a fait faire volte-face. Les yeux brûlent et la bouche en est toute remplie. Elle s’écrase entre les dents. Elle vous pénètre dans le cou, elle vous glisse entre les épaules…

C’est une journée d’excessive chaleur, et, comme le vent souffle, la poussière poursuit une danse échevelée. Elle est bousculée, soulevée ; elle monte, elle grimpe haut, elle se précipite sur vous, vous fouette comme une furie. Et de quelque côté que l’on aille, sous les marabouts ou dans les baraques, elle vous poursuit, vous hante…

Oh ! cette poussière, je gage que vous n’en avez jamais vu de pareille. La rade elle-même a disparu sous le nuage jaune qui s’attache sur elle. On ne voit plus les bateaux. On ne voit plus rien que la grande nappe poussiéreuse, qui a l’air d’insulter le ciel. C’est la pire misère que ces journées de poussière… Elle charrie avec elle tous les germes mauvais, et c’est un peu une semence de mort…

Ajoutez à cela les mouches innombrables qui, pour la fuir, emplissent les baraques et les tentes. Comme elles sont terribles, ces mouches, etcomme elles vous en veulent ! Vous dire leur nombre serait impossible ; des milliers, non, c’est plus. Il y en a partout ; elles recouvrent les moindres boiseries, les moindres bouts de toile, tout ce qui offre une superficie. Elles se posent sur vos lèvres, sur vos yeux, elles vous entrent dans la bouche. C’est une vraie souffrance.

J’oubliais de vous parler d’un autre insecte, aussi odieux qu’entêté. Je veux parler… des puces. Oui, des puces qui sont aussi innombrables que les mouches, et qui, elles aussi, montent à l’assaut !

Pour notre honneur, je dois dire que nous en prenions notre parti… Mais ce qui nous était le plus dur, c’étaient nos pauvres malades qui se battaient la nuit avec les puces et le