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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

un pugilat sans pareil... On continue à tirer. Ils répondent de moins en moins, notre tir frappe juste, détruit tout ce qui doit être détruit. Nous avons de rudes canonniers à bord... Bientôt ils ne répondent plus... Tout est silence chez eux... A nous la victoire !

... Il a promis de revenir, notre « col bleu. »


Moudros, septembre.

Là-haut on éprouvait généralement comme un grand bien-être, une sorte de détente. Là-haut, c’était le sommet de la colline qui dominait le camp. On y arrivait en quelques minutes. L’air fouettait, on respirait librement et puis, surtout, la vue était merveilleuse.

En face, la rade, avec ses échancrures, son chargement habituel de navires de tous genres, ses baraques et ses yoles, ses cuirassés et ses steamers ; à gauche, une succession de camps, le sémaphore tout fleuri de flammes ; à droite, d’autres camps, une échappée sur la vallée où s’endormait un adorable village... Et tout en arrière, une autre vallée très profonde, très rocailleuse, qui abritait dans ses replis une bergerie construite entièrement de pierres, que ne retenaient point les habituels cimens et que deux figuiers ornaient magnifiquement...

C’était tout cela que l’on avait à soi, lorsqu’on allait là-haut. On y grimpait vers les six heures, par les sentiers à pic, où des cailloux roulaient en s’effritant. Le crépuscule commençait alors à sortir de ses nimbes. On s’asseyait sur quelques grosses pierres...

Aujourd’hui, le temps fut clair à souhait ; de la lumière toute bleue se promenait dans l’air, teintée de mauve. C’était très doux. On suivait les moindres détails, ces nuances qui n’appartiennent qu’aux lumières d’Orient ! Puis arriva le crépuscule avec ses mille teintes qui se superposèrent. Chacun se tut... Et ce fut ensuite la nuit qui glissa quelques ombres, avec peine, avec presque du regret... Alors des voix murmurèrent ce qu’elles n’avaient point voulu dire jusque là. On conta à mi-voix des souvenirs... On parla de la guerre... On se tut encore... Puis, quelqu’un osa...

— C’était, disait-il, au mois d’avril dernier... Nous étions ancrés en face de Skyros : un homme très jeune encore, officier, porteur d’un nom illustre, poète de valeur, Ecossais d’origine