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conversation avec le Prince : des rentes d’Espagne, rapportées je ne sais plus quand par Rousseau et que la Reine a fait serrer devant lui, ne se retrouvent plus dans la caisse de fer-blanc que le Prince lui a remise, et Mme Salvage, que j’avais crue au courant de cela, l’ignore. Le Prince me faisait presque des excuses de m’interroger là-dessus. C’était, disait-il, par délicatesse pour tout le monde qu’il s’occupait de cela et afin que, s’il manquait quelque chose, chacun ne pût pas en rejeter la faute sur son ennemi. Il a ajouté qu’il savait bien que j’en avais dans la maison, mais que je puis être bien sûre qu’il est là-dessus du même caractère que sa mère et que de lui dire du mal de quelqu’un dont il connaît les antécédens, c’est peine perdue. Il m’a assurée de son amitié pour moi en ajoutant que, s’il avait été plus froid avec moi, c’est qu’il ne peut pardonner à ma sœur et à mon beau-frère de ne l’avoir pas averti de la conduite de M. Raindré. J’ai été fort étonnée de cela, lui ayant dit, ainsi qu’à la Reine, le peu que Laure m’avait fait savoir. Il ne se rappelle pas que je lui en eusse dit quelque chose, et pourtant je suis très sûre de lui avoir dit, ainsi qu’à la Reine, tout ce que je savais ; il paraît que cela ne l’avait pas éclairé, tous ses soupçons tombaient sur Mme Gordon... Le dîner nous a interrompus. Nous nous sommes promis de reprendre cet entretien. Je vois qu’il ne suffit pas d’avoir sa conscience pour soi, de faire tout ce qu’on doit, puisque j’ai besoin de me justifier de quelque chose.


Vendredi 29 septembre.

La force me manque pour écrire, tant mes journées sont remplies d’émotions douloureuses. Ma pauvre Reine ! Mais ce n’est pas de ma douleur que je dois parler. Elle est là pour longtemps, c’est, au contraire, pour conserver le souvenir des faits qu’elle me ferait oublier. Avant-hier, j’ai vu Mme Lindsey et les Grenay, Mlle Louise portant au col des cheveux de Mademoiselle et au doigt une bague avec une ancre et des cheveux du Duc de Bordeaux. Tout cela ne changeait en rien l’amour du Prince, tandis que les opinions de ma famille l’éloignent tant de moi. M. Conneau a dormi sur le canapé du petit salon et moi, je suis restée assise à côté du lit de la Reine. Elle a été fort agitée, mais pourtant sans qu’aucun incident soit survenu. Le Prince est venu de bonne heure et voulait m’envoyer reposer,