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massif pour le couchage sortaient des parois boursouflées. Les angles n’existaient pas ou plutôt s’arrondissaient mollement. L’on éprouvait l’impression d’être dans un logis de beurre et l’on pouvait croire qu’en y touchant, on le modèlerait à sa guise.

Accoutumée à vivre dans une maison presque semblable de construction, Fatima ne s’en étonna guère ; en revanche, elle admira les peintures qui décoraient, du plafond au sol battu, les murs. L’humble génie d’une femme avait imaginé des géométries et des polygonies heureuses, et les couleurs végétales empruntées au suc des plantes s’harmonisaient au clair-obscur. D’ailleurs, ces dessins ajoutaient encore à l’impression d’un hypogée égyptien, et l’on ne pouvait regarder les bancs maçonnés sans croire qu’ils fussent des tombeaux. Une femme d’une cinquantaine d’années au visage intelligent et aux grands yeux passionnés, le front serré dans un foulard orange, s’avança. C’était Malki, la mère de Daroul, créatrice de ce décor et de presque tous les ustensiles agréables de la maison. Malki, montrant ses fresques à Fatima, lui dit :

— Je crois bien que nous ne sommes pas de ce pays, mais que nous arrivons d’une terre lointaine qui nous enseigna la fabrication des tapis et de ces images. Qui sait ?

Et tandis que Fatima ne pouvait se retenir de sautiller pour regarder les dessins, car elle était née pie sauteuse, des hirondelles pénétraient dans la vaste pièce par un trou circulaire ménagé dans la terrasse pour l’évacuation des fumées et l’aération, — car aucune fenêtre n’avait été réservée. Les fenêtres conviennent seulement aux demeures des Français dont les femmes peuvent être vues de tous les hommes.

De nature assez envieuse, Fatima examinait les plats vernissés et peints qui surmontaient les étagères en une disposition semblable, ô ironie ! aux intérieurs dits « modern style. »

Une singulière porte en trapèze donnait accès dans une sorte d’arrière-salle en grotte. Devant la porte peinte de rouge et de noir comme un vase étrusque, Fatima ne songea pas un instant que ce seuil d’une géométrie inusitée pouvait bien avoir trouvé ses modèles en Chaldée ou en Egypte. Pauvres Kabyles que les ethnographes s’arrachent et décrètent tour à tour gens d’Europe, d’Asie, ou bien autochtones de l’Afrique du Nord !

Fatima sauta les trois degrés qui conduisaient à cette nouvelle salle d’un caractère funéraire. D’énormes jarres de terre