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examen et s’étonna de n’avoir pas encore remarqué chez Roua les objets commodes qu’on prétendait en sa possession.

— Viens, prononça l’heureuse maîtresse du logis, et je te montrerai ce que tu n’as jamais contemplé, car tout ce qui s’est fabriqué en Kabylie d’utile et d’agréable, je le possède. Viens.

L’ayant ramenée dans la vaste salle, elle retira sa vaisselle des placards pratiqués dans les murailles. Avec un certain orgueil, Malki, qui suivait, pieds nus, Fatima, lui montra les dernières jarres cuites d’un beau rouge, destinées à contenir l’huile. Plusieurs « tabakilt, » et tous de taille respectable, furent placés sous les yeux jaloux de Fatima, qui touchait ces plats de bois en murmurant :

— Autant de couscous que vous fassiez, ils ne pourront pas être tous utilisés.

Roua et sa belle-mère protestèrent qu’aucun ne chômait, pas plus que les « aïdour, » ces pichets qui servaient à désaltérer les mangeurs de semoule. Orgueilleuse, Malki fit remarquer comment les anses de ses aïdour venaient s’incorporer au flanc du vase comme la liane autour de l’arbre. Ainsi que toutes les femmes kabyles, Fatima savait fabriquer un pot ; elle goûta l’adresse de Malki.

— Toi, tu ne reproduis pas toujours les formes anciennes comme nous autres, lui dit-elle. Tu inventes.

— Au commencement des temps, répondit la mère de Daroul, il fallut bien que les premières Kabyles créassent des modèles pour qu’ils fussent offerts en exemple. Vous autres copiez depuis les siècles des siècles ; moi, je prépare les vases que nos descendantes imiteront. Comprends-tu ?

La grosse Roua rit lourdement, car elle ne comprenait guère ces paroles, et cette belle-mère trop intelligente, juge de ses actions puériles, lui déplaisait. Malki l’ayant regardée sévèrement, Roua s’accroupit pour se donner contenance et commença de tourner la petite meule de son moulin à main. Au milieu de la pierre supérieure, elle introduisit une poignée de grain par l’ouverture réservée à cet usage.

Malki considérait sa bru avec mépris ; puis, la dédaignant, elle attira les lampes à trois et cinq becs, au riche décor rouge et noir de sa façon. L’une d’elles, patinée par l’âge, noircie par la fumée des mèches, parut vénérable à Fatima, qui l’éleva à bout de bras et marcha rapidement.