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calvitie d’un vieux monsieur, sur le tapis qui lui servait à la fois d’oreiller, de matelas, de drap et de couverture.

Cependant, quelques secondes ne s’étaient pas écoulées et le berceau s’agitait encore comme une barque dans le roulis, qu’un nouveau vagissement troublait Fatima précisément occupée à plonger son bras dans une jarre afin d’en goûter les fruits secs. Presque aussitôt sept, huit, dix vagissemens simultanés firent une musique surprenante.

— Par Sidi Abderrhamane ! je ne te savais pas tant d’enfans, Roua, s’exclama la petite danseuse égayée.

— Ses nouveau-nés, les voici, répliqua Malki en arrachant une cotonnade qui cachait une sorte de terrassement divisant une partie de la salle. En sous-sol, à travers des arcades, Fatima aperçut une douzaine d’agneaux.

Malki marmonna :

— Les enfans de Roua n’appauvriront pas cette maison.

Cette mère kabyle se plaignait d’une bru qui ne lui avait encore donné que le sauvageon du berceau, au lieu des sept enfans possibles en Kabylie, puisque Roua la Rousse était mariée depuis huit années à Daroul.

— Pourtant, cette maison pourrait nourrir beaucoup de monde, reprit Malki. Daroul, mon fils, disait :

« Chaque fois qu’il me naitra un fils, j’irai placer en pays arabe une couple de bœufs pour son entretien. Ces bœufs fournis au cultivateur me rapporteront vingt-cinq mesures de blé et vingt-cinq mesures d’orge, c’est-à-dire de quoi entretenir un garçon avec abondance. Ah ! cette Roua n’apporta pas la bénédiction chez nous ! »

En entendant ces reproches, Fatima constata que Roua la Rousse payait son bien-être de quelques ennuis.

— Ah ! malheureuse, s’exclama brusquement Malki, en saisissant une corne de vache gravée au feu, percée à sa pointe et fermée d’un petit couvercle, tu n’as pas plus de tête que le bibiti [1]. Tu n’as pas pris soin de remettre à Daroul sa blague à tabac.

Cette fois, Roua, se trouvant injustement accusée, repartit :

— Si je suis le « Bibiti, » vous êtes le « Bou-tata [2], » car vous ne cessez de m’asséner des coups de bec du matin au soir.

  1. Le hoche-queue.
  2. Le pivert.