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ni non plus combien nous émeut irrésistiblement la simple et nette vigueur du langage où il les traduit. C’est, il est vrai, un langage d’orateur plutôt que de pur écrivain, et toujours l’auteur s’y montre à nous plus soucieux de la force pathétique de ses phrases que de leur élégance proprement « littéraire : » mais il n’en reste pas moins que ces phrases, avec leur répétition trop fréquente des mêmes mots et des mêmes tournures, portent à un très haut degré l’empreinte d’un « tempérament » tout original. Qu’on lise, par exemple, — en s’efforçant de suppléer le mieux possible à l’insuffisance fatale d’une traduction, — l’un quelconque des passages où M. Roosevelt nous dénonce éloquemment la sottise, tout ensemble, et la « lâcheté » de l’espèce fâcheuse des « pacifistes « américains :


Dans la conception de son programme, l’Allemagne a tenu compte de l’effet certain de la terreur sur toutes les âmes naturellement craintives. C’est avant tout par manière d’intimidation qu’elle a décidé le torpillage de la Lusitania ; et, semblablement, c’est par manière d’intimidation qu’elle a surtout adopté l’emploi, dans les tranchées, de gaz empoisonnés, — pratique excusable seulement si l’on excuse, du même coup, l’empoisonnement des sources et l’infliction de la torture aux prisonniers de guerre. Or, il se trouve que cet objet, consistant à fasciner par la terreur, n’a pas été atteint par l’Allemagne en ce qui concernait les combattans anglais, français, belges, russes, italiens, et serbes : mais il y a d’autres pays où ces pratiques allemandes ont positivement réussi à exercer un funeste effet de fascination sur des personnes d’un cœur prompt à s’effaroucher. Je ne crois pas, en vérité, qu’elles eussent réussi à fasciner le moins du monde la masse de nos compatriotes des Etats-Unis, si notre nation pouvait être amenée à prendre clairement conscience de ce qui s’est passé en Europe depuis dix-huit mois : mais c’est chose incontestable qu’elles ont agi très profondément sur cette partie, spécialement bruyante, de notre nation qui ne cesse point de nous parler de la paix à tout prix. Les hommes que nous entendons se féliciter de ce que les Etats-Unis aient eu l’heureuse chance d’éviter une guerre avec le Mexique ou avec l’Allemagne ; les hommes qui disent que nous aurions tort d’agir à propos de l’aventure de la Lusitania ; les hommes qui déclarent que nous aurions été insensés d’intervenir en faveur de la Belgique, il y a parmi eux une foule de couards qui ont été terrorisés par le crime allemand. Tout récemment encore, dans certains cercles de notre société, un grand succès de popularité a accueilli l’apparition d’un chant intitulé : Je n’ai pas élevé mon garçon pour qu’il devînt un soldat ! — lequel chant ne devrait jamais être chanté qu’en compagnie d’un autre, son « pendant » naturel, qui s’appellerait : Je n’ai pas élevé ma fille pour qu’elle devînt une mère ! Oui, voici que cet hymne en l’honneur de la lâcheté, voici qu’on l’a couvert d’applaudissemens dans nos cafés-concerts, et même dans maintes écoles de notre pays ! Représentez-vous un chant comme celui-là entonné devant les mères, les