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à l’avance contre des dangers dont la réalité n’est aperçue que d’un petit nombre d’esprits clairvoyans. En France même il y avait, hier encore, une foule d’hommes qui, avec les meilleures intentions du monde, ne découvraient pas la menace suspendue au-dessus de leur patrie, de telle sorte qu’ils s’opposaient, eux aussi, à la « préparation » d’une guerre prochaine. Mais aujourd’hui tous ces hommes tâchent de toutes leurs forces à réparer leur ancienne erreur, — qui déjà, au reste, leur a coûté un douloureux tribut de larmes et de sang. Sous la leçon cruelle de l’invasion, la France a déployé un héroïsme et une élévation d’âme que Jeanne d’Arc elle-même n’avait point dépassés. Depuis le premier mois de la guerre, elle a fait tout ce qui se trouvait être humainement possible. L’union profonde des cœurs français, leur résolution calme et forte, l’esprit de sacrifice témoigné par la masse entière du peuple, — soldats et civils, hommes et femmes, — tout cela est d’un niveau moral supérieur. L’âme de la France, à cette heure, nous apparaît purifiée de la moindre scorie ; elle brûle pareille à une claire flamme sur un trépied sacré. Et comme les Français se trouvent être une race généreuse non moins que vaillante, il faut voir avec quelle noble gratitude ils reconnaissent l’effort tenté, à côté d’eux, par les deux autres grands peuples qui partagent avec eux le fardeau de la même défense, en y apportant le même élan de cœur !


Mais une forte « préparation » militaire et navale n’est pas l’unique devoir qu’impose, aux compatriotes de M. Roosevelt, leur qualité d’ « Américains » dignes de continuer la noble tradition de leurs devanciers. Un « Américain » ne doit pas seulement accomplir « sans crainte » l’obligation de protéger sa patrie contre toute possibilité d’agression étrangère : il doit en outre « craindre Dieu, » et éviter, dans sa propre vie, aussi bien que dans celle de sa patrie, toute action qui risquerait de charger d’un poids trop lourd sa conscience de chrétien. Or, c’est précisément contre cette obligation « religieuse » qu’ont « péché » les États-Unis, en s’abstenant de protester contre l’invasion de la Belgique et les autres grands crimes du brigandage allemand. Sur ce point encore l’indignation patriotique de M. Roosevelt s’épanche avec une éloquence et une vigueur inlassables. « La neutralité, s’écrie-t-il, n’implique nullement l’indifférence du cœur ; et jamais une âme droite n’accepterait de demeurer neutre entre le bien et le mal ! » De page en page, il rappelle à ses lecteurs que « ce n’est point la paix, mais par excellence la probité et l’honneur, qui ont de quoi constituer une fin à nos actions humaines. »


Lorsque le Sauveur a vu les marchands installés dans le Temple, pas un instant il n’a hésité à rompre la paix en procédant à leur expulsion. Au lieu de maintenir la paix, comme il l’aurait fait s’il avait consenti à se