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moins à cette critique de n’être pas dits en leur temps : « L’exemple de l’Amérique doit être un exemple spécial de paix non seulement parce qu’elle ne veut pas se battre, mais parce que la paix est l’influence salutaire qui anime le monde, et que la guerre ne l’est pas. Il y a tel cas où un homme est trop fier pour se battre, tel cas où une nation est tellement dans son droit qu’elle n’a pas besoin de convaincre les autres par la force qu’elle est dans son droit. »

Hélas !... Cependant le ciel américain lui-même s’assombrissait ; l’Océan s’emplissait de cadavres ; les pertes, les deuils s’accumulaient et les cœurs se chargeaient de colères, qu’entretenaient et excitaient d’impudentes provocations commises sous le couvert de l’hospitalité. Quel que fût son amour de la paix par la vertu du droit, quelle que fût sa foi dans l’accomplissement de la justice par la stricte observation d’une neutralité impartiale, M. Woodrow Wilson ne pouvait fermer ses yeux et ses oreilles, au point de ne pas voir et de ne pas entendre. Bientôt, il allait être amené à reconnaître qu’il est, à la fin du compte, des choses pour lesquelles une nation doit se battre, et des cas dans lesquels une nation, quoiqu’elle soit manifestement dans son droit, « a besoin de convaincre les autres par la force qu’elle est dans son droit. » — « Il y a, confessait-il, quelque chose que les Américains aiment mieux que la paix : ils aiment mieux les principes qui sont le fondement de leur vie politique. » Le premier de ces principes, évidemment, qu’il est inutile d’écrire, car il est comme « l’essence de la vie pour l’âme nationale, » c’est l’indépendance, la dignité, la souveraineté des États-Unis. Mais, comment M. Wilson ne s’en serait-il pas bien vite aperçu, si, par leurs interventions indiscrètes, des essaims d’ « indésirables » n’ont cessé de se rappeler et de vouloir s’imposer à lui ? — il y a, dans tous les États de l’Union, jusque dans l’Est, surtout dans l’Ouest moyen et l’Extrême-Ouest, « des Américains égarés par des sentimens erronés d’allégeance aux gouvernemens sous lesquels ils sont nés. » Des Américains, oui, sur les registres, pour les statistiques ; mais, comme ce sont des échappés d’une nation qui souffre qu’on la renie sans abandonner sa nationalité, qui fait plus et désire être reniée pour être plus efficacement servie, ils sont tout à la fois Américains et ne le sont pas devenus, ne sont plus Allemands et le sont restés : ainsi que, dans l’ancien droit français, le gentilhomme qui avait dérogé par le fait de marchandise ou de labourage chez autrui était « toujours sur ses pieds pour remonter à noblesse, » ils sont toujours debout, dans leur nouvelle patrie, pour retourner à l’ancienne, et coulent des jours prospères entre deux défections. Au