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L’ALLEMAGNE ET LA GUERRE

DEUXIÈME LETTRE


Monsieur le Directeur et cher Confrère

Vous voulez bien m’inviter à vous communiquer les réflexions que j’ai pu faire depuis que, répondant à l’appel du bien regretté Francis Charmes, j’essayai de dire comment et pourquoi la barbarie dont usaient les Allemands dans la guerre actuelle était voulue, systématique, philosophique. Plus vivement encore qu’en octobre 1914, à vrai dire, je sens aujourd’hui une répugnance à me recueillir, à coordonner mes idées, à écrire. Plus que jamais, je songe à la devise de Hoche : Res, non verba ; Age quod agis ; ce qui veut dire : Primo vincere, deinde philosophari. Mais, d’autre part, il m’arrive du front des lettres où nos admirables combattans, entre deux batailles formidables, me font la théorie de la guerre actuelle, et me citent des textes de Platon ou de Pascal, avec une liberté d’esprit et une sérénité de réflexion égale à celle que je goûtais chez eux lorsque j’avais le bonheur de les voir travailler auprès de moi. Et, dans le monde entier, cette guerre est considérée comme une sorte de croisade philosophique, où sont aux prises deux conceptions opposées du bien et du mal, et de la destinée humaine. Il faut donc penser qu’il n’est pas contraire au devoir de philosopher à l’heure actuelle, et que les idées sont admises à se produire et à jouer un rôle, dans le temps même que la force se déchaîne avec une violence inconnue.