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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/414

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— Quel est ce Français que tu accompagnes ?

Pour plaisanter, il leur avait répondu :

— Si c’était le ministre de la Guerre, que diriez-vous ?

— Ah ! par Dieu ! c’est lui ! c’est donc lui !

— Je ne vous dis pas cela, c’est une plaisanterie, avait protesté le religieux.

— Non ! non ! baba ! tu regrettes maintenant de nous l’avoir appris ; c’est bien le ministre de la Guerre.

Et persuadées de s’adresser au chef suprême de l’armée française, ces naïves Berbères me suppliaient de ne pas leur prendre leurs autres fils et de leur rendre bientôt leurs maris. Mon silence leur laissant croire que j’étais troublé par leur insistance, c’est à grand’peine que je pus sauver mes vêtemens des griffes de ces femmes convaincues que j’avais les pouvoirs nécessaires pour renvoyer les hommes à leurs foyers.

Le Père C... riait encore quand il nous prévint qu’il allait nous mener dans une famille, méritante et sincèrement attachée à la France.

— Ce sont encore de nos « cliens, » c’est-à-dire de ces braves gens qui réclament nos soins, viennent se faire arracher leurs mauvaises dents et consultent le Père Supérieur dans les cas embarrassans de leur existence. Musulmans tièdes, ils nous écoutent volontiers et prononcent : « Vous êtes peut-être dans la vérité. » Cependant ils s’en retournent chez eux et nous ne les revoyons que lorsque leurs intérêts l’exigent. Nous savons d’ailleurs pourquoi ils ne viennent pas franchement à nous. La question de la femme les arrête. Une chrétienne peut montrer son visage à tous les hommes ; une chrétienne peut entretenir au passage un homme sans qu’il soit utile de tirer, par représailles, un coup de fusil sur son interlocuteur ; une chrétienne se rend au marché, achète et vend sans être surveillée par son mari ; une chrétienne ne doit pas être battue et traitée comme une bête de somme. Voilà ce qui fait hésiter ces Kabyles intelligens, mais égoïstes. Ils sont forcés d’accorder à la civilisation chrétienne une supériorité sur leur triste société musulmane ; pourtant, ils ne rompent pas les liens qui les enchaînent à leur demi-barbarie pour des raisons sans générosité et sans hauteur morale. Qu’arriverait-il de leur conversion ? Leurs épouses libérées ne voudraient plus accepter leur misérable servage. A l’idée que leurs femmes, ces créatures inférieures,