Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garnison. L’obéissance passive à la lettre des règlemens, les tours de service, les corvées, tout ce stade inférieur de la vie militaire, nous en sommes sortis et nous nous sommes élevés à une autre discipline : discipline d’action et de fonction. Nous nous sommes affranchis de la solde, toujours payée, de la soupe toujours trempée à la fin du jour ; et cessant d’être des rationnaires, nous sommes devenus des soldats.

La charte ancienne n’exigeait du militaire « qu’une soumission entière et de tous les instans. » Et conformément à l’esprit de cette règle ecclésiastique, Proudhon pouvait écrire que le soldat ne connaît ni famille, ni citoyen, ni justice, ni patrie ; que son pays est son drapeau ; sa conscience l’ordre de son chef ; son intelligence au bout de sa baïonnette. Il ne voyait dans l’armée que l’instrument de la sauvegarde constitutionnelle ; la vie militaire telle qu’elle était de son temps, telle qu’elle est aujourd’hui encore pendant la plus grande partie de l’année, ne lui permettait pas de voir autre chose ; et cependant nous faisons plus, nous faisons mieux, pendant ce temps trop court où nous allons manœuvrer en plaine avec les fantassins et les cavaliers

Nous distribuons des rôles ; nous ouvrons à chacun selon son grade une zone d’autonomie et d’initiative ; nous créons ainsi un commandement d’espèce non plus ecclésiastique comme celui que raillait Proudhon, mais un commandement industriel. C’est un jeu d’engrenages roulant les uns sur les autres et c’est une machine intelligente où chaque organe pense, ordonne et veut. Le mouvement est commun ; la source en est en bas, la direction en est en haut. La nécessité qui domine cet ensemble n’est plus dans le sic volo, sic jubeo du maître suprême : elle est dans la nature des choses et dans la fatalité des faits.

Ainsi, la pratique manœuvrière substituée à la doctrine de l’obéissance passive, celle de la discipline des fonctions. Cette vérité est devenue évidente pour moi le long de nos chemins de Beauce ; je l’ai découverte, en songeant le soir, autour de nos cantonnemens : je l’ai rapportée, je la garde, je la pratique et je l’aime. Mais je la trouverais plus belle encore si notre grand travail n’était pas si improductif, si la machine militaire ne travaillait pas à vide et si toutes nos ornières avaient seulement la valeur d’un sillon.


ART ROË.