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de républicains à l’antique peut bien rêver aussi d’une Irlande républicaine. Des socialistes ouvriers ou agraires peuvent bien construire en esprit une société irlandaise régénérée et heureuse après tant de siècles de misère. Mais, plus bas, il y a les autres. Comme en tout temps et en tout pays, il y a les pêcheurs en eau trouble. Il y a les affamés de notoriété et de pouvoir. Il y a les amateurs de bruit et de panache, ceux qui abritent des appétits derrière des systèmes, ceux qui tirent, surtout en l’air, des coups de pistolet. Il y a les fanatiques, les hypnotisés, les faiseurs, les dupes. Il y a ceux qui se dévouent, ceux qui s’inclinent, ceux qui se donnent, ceux qui se prêtent, et ceux qui se vendent. Il y a ceux qui travaillent pour la gloire, ceux qui travaillent pour la patrie, et ceux qui travaillent pour l’étranger. Les insurgés de la dernière semaine d’avril ont travaillé pour l’étranger, et pour quel étranger ! pour le roi de Prusse. Cette révolte de l’Irlande n’a point du tout été irlandaise, mais allemande ; elle n’a gardé d’irlandais que la forme ; c’est un métal, un plomb allemand coulé dans le moule des révolutions irlandaises ; la tentative de guerre civile n’était qu’un acte ou qu’une scène de la grande guerre européenne. Aucune question vraiment irlandaise n’était posée, ni même aucune espèce de question. Cela nous met à l’aise pour la condamner, sans étouffer l’écho que n’ont cessé d’éveiller chez nous, comme en Angleterre même, les justes plaintes de l’Irlande. Et cela nous fournit une occasion de faire deux réflexions : l’une, que, chaque fois que l’Irlande, par une campagne « pacifique et légale, » fût-elle de celles qu’on a définies « pacifiques, c’est-à-dire jusqu’à la dernière extrémité en deçà de la guerre ; légales, c’est-à-dire jusqu’à la dernière limite en deçà de la loi, » a été amenée à portée d’accomplir son vœu, des forcenés ou des insensés sont venus tout compromettre. Ainsi, contre O’ConnelI, s’était formée la Jeune Irlande, et contre M. John Redmond se dresse le Sin-Fein. L’autre réflexion, plus essentielle encore, c’est que, chaque fois que l’Angleterre a été engagée dans une guerre extérieure, ses ennemis se sont efforcés de déchaîner une révolte et d’opérer un débarquement en Irlande, sans que jamais aucun de ces projets ait abouti. L’Allemagne avait sous les yeux nos exemples de 1796 et de 1798 ; longtemps avant les nôtres, celui de l’Espagne ; et le sien propre, l’expérience, qui date de plusieurs siècles, de Martin Schwartz, avec 2 000 lansquenets, allant à Dublin aider au couronnement du prétendant national Lambert Simnel, traversant le canal d’Irlande, et finalement déconfit à la bataille de Stoke-on-Trent. Tout entière à sa haine, elle n’a pas entendu l’avertissement.