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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/587

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pourrons fixer l’heure de l’abordage décisif. Et la question vient naturellement aux lèvres de tous : Quand serons-nous prêts ?

Il est impossible d’y répondre, et je doute même que les gouvernemens et les généralissimes soient en état de fixer une date plus ou moins prochaine. Ils peuvent prévoir et calculer ; leurs résolutions et leurs décisions dépendent non seulement de leur certitude et de la connaissance de leurs forces, mais aussi de l’évaluation de la résistance qu’opposera l’adversaire et du choix du moment opportun où ils sentiront que son affaiblissement provoquera la défaillance sous le choc irrésistible. Et c’est la grande inconnue, même à l’heure qu’il est.

L’usure de l’Allemagne est manifeste : elle se révèle par l’acharnement même que son haut commandement continue à mettre contre Verdun. Les assaillans ont été exaltés par la parole impériale : Verdun pris, c’est la fin de la guerre ! Il est possible que l’Etat-major essaie encore d’exploiter l’attitude, en apparence passive, des Alliés, par de nouvelles manifestations offensives. L’Allemagne, il faut le reconnaître, n’est pas au bout de ses forces. Elle n’est pas encore sur les genoux ! Mais elle souffle et elle souffre. L’hémorragie vide ses veines, l’anémie que cause le blocus épuise les nerfs de son peuple. Qu’on s’imagine l’état d’âme de ce peuple allemand, grisé de conquêtes et de victoires, abusé sur son rôle prédestiné, et qui voit bien que la guerre dure, que ses adversaires ne se reconnaissent pas vaincus, que les listes funèbres font pénétrer les deuils et les angoisses dans tous les foyers, que les vivres sont rationnés, que la vie facile d’avant la guerre fait place à la disette et à la misère, que la richesse promise sur les dépouilles des nations vaincues est un mirage qui s’enfuit, que les ports si débordans naguère d’activité mondiale sont déserts, que l’industrie et le commerce sont réduits aux fournitures de guerre ! Certes il est discipliné, formé à cet automatisme intellectuel et moral qui l’a mis dans les mains du militarisme et de la féodalité prussiennes et qui a engendré dans la nation et dans l’armée, étroitement solidarisées, de grands efforts collectifs. Mais il est incapable encore de comprendre ce qui s’est passé dans ces vingt mois de guerre, et comment se sont renversés les destins.

Cependant, déjà des voix s’élèvent et des manifestations populaires se produisent. La faim est mauvaise conseillère. Il est de plus en plus certain que l’Allemagne désire la paix, non