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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/687

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tranchées de la mer aux Vosges, comme l’odeur et le fumet de la bonne terre où gitent les louveteaux de France en attendant l’heure de la grande chasse. Ainsi palpite-t-il, grésille-t-il dans l’air léger, au-dessus du sillon des tranchées, comme le chant de l’alouette de Gaule, bien haut dans l’azur, hors de l’atteinte de leurs mitrailleuses, de leurs 420, de leurs bombes asphyxiantes, de leurs aéroplanes et de leurs zeppelins… haut, si haut, que toujours, — inventeraient-ils des appareils d’optique perfectionnés, — il resterait dans l’Invisible et le Mystère, pour leurs yeux de Teutons…

Ainsi riaient les premiers blessés dans leur grande misère. Et certes, elle était grande. Et jamais plus au cours de cette longue guerre ne se reverront de telles scènes qu’une organisation de fortune rendait quotidiennes, alors.

On avait vu passer les trains montans, trains de gloire, d’espérance, d’allégresse, trains de la Revanche, trains enguirlandés et fleuris, magnifiques trains hurlant la Marseillaise, charriant à flot notre belle jeunesse que nous t’avons offerte en holocauste, ô France, et que tu nous as prise pour l’offrir à Dieu… Trains de la voie montante, ceux qui vous avaient vus disparaître vers le redoutable Inconnu guettaient maintenant sur la voie descendante la première rançon de la gloire, les premiers déchets, les premiers vaincus… Et voilà qu’ils vous voyaient poindre, ô trains reconnus au passage, où lamentablement pendaient les fleurs fanées, où les branches de peuplier séchées encadraient, — comme un triste lendemain de fête, — les pâles visages et les corps abattus de ceux que vous aviez menés vers le divin Rêve…


Mère, voici vos fils qui se sont tant battus.
…………………….
Et voici le gibier, traqué dans les battues,
Les aigles abattus et les lièvres levés,
Que Dieu ménage un peu ces cœurs tant éprouvés,
Ces torses déviés, ces nuques rebattues[1]


Oh ! le premier contact avec la triste réalité ! Vaincus ? Etaient-ils des vaincus ? Dans leur dénuement, leur pauvreté,

  1. Ch. Péguy, Prière pour vous autres, charnels.