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s’arrêtaient à mi-chemin. Quant à lui, vouloir imposer ou insinuer la paix, alors qu’il ne peut y avoir la paix, alors que, pour les peuples martyrisés, « la folie de l’épée » est devenue une espèce de « folie de la croix ; » que le devoir, pour nous, n’est plus seulement patriotique, mais mystique, ce ne serait pas servir l’humanité, ce serait servir l’Allemagne, ce serait tenir les bras de l’humanité pendant qu’on l’outrage et qu’on la poignarde.

Nous l’avons dit, nous ne craignons pas de le redire, avec tout le respect qui est dû à la dignité et au caractère du Président des États-Unis : il y a des choses qui dépendent de M. Wilson et des choses qui ne dépendent pas de lui. Au surplus, toutes les manœuvres de l’Empire allemand sont condamnées à échouer. Chaque fois qu’il s’est senti tenu en échec, il s’est ingénié à déclencher une intervention nouvelle, la Turquie au lendemain de la Marne, la Bulgarie après l’Yser. N’ayant pas pu réussir à jeter les États-Unis en travers de la pression maritime de l’Angleterre, il s’est retourné vers la Suède, a agité le spectre de l’invasion russe, a condensé sur les îles Aland les nuages factices de sa chimie diplomatique. Le secours de l’armée et de la marine suédoise lui eussent été bien utiles, si Hindenbourg, maussade et comme envoûté par les clous dont on a percé sa statue, se décide à reprendre sa marche manquée contre Petrograd. Mais le malentendu a été dissipé, la Suède restera neutre ; et, la onzième heure étant passée, tous les autres neutres aussi, vraisemblablement, resteront neutres, pour ne pas risquer de s’entendre dire qu’ils se sont décidés trop tard : en quoi M. Wilson, panégyriste de la neutralité, ne saurait manquer de trouver un sujet de consolation. La paix n’est pas encore en vue. Mais la guerre paraît circonscrite, si l’épithète n’est pas absurde pour une guerre qui couvre tout un continent et déborde sur plusieurs autres. Au pis aller, la partie est liée. Elle n’est peut-être pas encore gagnée pour nous. Elle est sûrement déjà perdue par l’Allemagne. Les quatre mille tonnerres de Verdun et les deux mille tonnerres de Rovereto n’y changeront rien.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

RENÉ DOUMIC