surmène les sociétés comme les hommes. Nabuchodonosor, Alexandre, sont les types célèbres de ces victorieux que Dieu exalte pour les perdre. L’Espagne avait connu quelque chose de pareil quand les conquistadors,
Comme un vol de gerfauts, hors du charnier natal,
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
Le délire des grandeurs fut, cette fois, le lot de tout un peuple.
Bismarck, conscient du danger, l’avait signalé et, d’une humeur maussade, avait morigéné d’avance la folie de ses successeurs : « les armemens ne suffiront pas, écrit le ministre disgracié, dans une page d’une clairvoyance admirable ; il faudra en plus la justesse du coup d’œil pour piloter le vaisseau de l’Allemagne à travers les courans des coalitions auxquelles notre situation géographique et notre régime historique nous exposent... Il faut, à cet effet, que nous sachions rester indifférens aux séductions de la vanité. L’Allemagne commettrait une grande folie si, dans les questions d’Orient auxquelles elle n’a aucun intérêt spécial, elle voulait prendre parti avant les autres Puissances directement intéressées... L’Allemagne est la seule grande Puissance en Europe que nul projet ne saurait tenter s’il ne peut se réaliser que par la guerre (voilà pour le militarisme à la Bernhardi et la politique mondiale à la Bülow !). Nous ne devons nous laisser forcer la main ni par l’impatience, ni par quelque complaisance consentie aux dépens du pays, ni par un sentiment quelconque de vanité, ni par des provocations d’amis (ceci pour l’Autriche) ; rien ne doit nous décider, avant le moment voulu, à quitter l’expectative pour l’action ; sinon plectuntur Achivi (ceci pour les sujets de l’empereur Guillaume !). » Notre unité une fois établie dans les limites possibles, mon idéal a toujours été de nous concilier la confiance des grandes Puissances, comme celle des Puissances secondaires de l’Europe [1]. » Le vieux renard, plein d’appréhension pour le sort de son œuvre, luttait déjà contre le parti rapace qui jetait un œil d’envie sur le bonheur tranquille des petits Etats !
Mais le tempérament de la race était plus fort que les avertissemens de l’ermite de Varzin. Une fois les convoitises excitées,
- ↑ Pensées et Souvenirs, par le prince de Bismarck. Édit. franc. T. II, p. 312-346.