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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/78

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européenne, même mondiale, et la conquête des pays qu’il considérait comme indispensables à son expansion économique ou relevant de l’obédience féodale du Saint-Empire germanique ; mais dans les restrictions à ses convoitises qu’il pouvait prévoir du fait des surprises de la guerre, on peut affirmer, même à l’heure actuelle, que la sauvegarde de la grande conception Hambourg-Berlin-Vienne-Constantinople-Bagdad est restée toujours la préoccupation principale du Kaiser et des hommes d’État allemands.

Ce serait nier l’évidence que de méconnaître tout l’effort accompli par l’Allemagne, depuis plus de vingt ans, en Orient, — effort qui a abouti à sa maîtrise sur la Turquie, à la défection de la Bulgarie, à l’inertie de la Grèce et de la Roumanie, — et de penser qu’elle ne saurait pas, au cas où elle pourrait ouvrir la conversation qu’elle désire et qu’elle recherche sur les conditions d’une paix de lassitude et d’épuisement réciproques, faire valoir les droits acquis et balancer par les compensations orientales les concessions forcées aux frontières de l’Ouest et de l’Est.

Or, quels que soient les accommodemens consentis en faveur de la France, de la Russie, de la Belgique et de l’Angleterre, — et certes ils ne dépassent pas dans l’esprit des plus modérés, des plus clairvoyans peut-être, des dirigeans allemands les limites du statu quo ante bellum, — les Alliés ne pourraient commettre de faute plus grave, plus lourde de conséquences, que d’abandonner l’Orient aux Germaniques. Tout serait remis en question. Rien ne serait changé à l’état de l’Europe, sauf que plusieurs millions de jeunes hommes seraient morts inutilement ! Les nations seraient contraintes à rester, comme auparavant, en armes, attendant la reprise fatale et prochaine de la guerre, au gré de la Puissance de proie qui, loin d’être abaissée et vaincue, retrouverait en Orient un accroissement rapide de ses forces de conquête. Il n’y a qu’à regarder une carte pour comprendre le bloc que formeraient les Empires du Centre avec les Balkans, l’Asie Mineure et la Mésopotamie, séparant désormais la Russie de l’Europe occidentale, joignant la mer du Nord au golfe Persique et à la route des Indes, dominant la magnifique façade de la Méditerranée du Levant et le canal de Suez.

A ce compte, l’Allemagne aurait beau jeu à reconnaître