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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/902

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L’heure des grands espoirs a été brève, plus brève encore l’heure des grandes ivresses.

A part quelques lettres que j’ai citées plus haut, je ne trouve plus, à partir du milieu de mars, que des lettres inquiètes, mécontentes, grondantes, bientôt affolées.

Dès le 5 mars, on écrit de Berlin-Rummelsburg « que le fils, soldat, a perdu tout courage, » et on ajoute : « Il serait vraiment grand temps que ces terribles massacres finissent. » Verdun apparaît à tous comme un « trou d’enfer. » Sans aucune pudeur, un soldat de la marine écrit, le 20 mars, d’Héligoland à un camarade, le sous-officier K..., du 99 e, devant Verdun. « Tu es vraiment un enfant du malheur : (Unglück-fils), te voilà devant Verdun. Moi, j’ai un bonheur de cochon (Schweingluck) de m’être trouvé une semblable petite place. Nous ne sommes plus que quatre ici, mais chacun de ceux-là a trouvé sa petite embuscade. » Et il ajoute : « Penses-tu que cette attaque de Verdun soit sérieuse ? Je pense que nous allons encore nous cogner le crâne contre la forteresse et que nous allons encore verser bien du sang. » Même sentiment dans une lettre de Budderbrock du 23 : « Avant que vous l’ayez enlevé (Verdun), il faudra que plus d’un y laisse encore la vie. Ce matin encore, il est arrivé une nouvelle annonce de mort. » Ces « annonces de mort » se multiplient. Les journaux allemands, tout en publiant des nouvelles rassurantes, sont obligés (l’expression a toute sa valeur), de faire la part du feu. « Est-ce vrai, écrit-on, le 24 mars d’Hindenburgos, que vous avez eu d’aussi grosses pertes comme on le dit dans les journaux ? » Et, dit un correspondant du soldat K..., du 19 e, écrivant d’Adelsdorf, le 19, « à quoi bon se sacrifier puisque la forteresse n’est pas tombée entre nos mains ? »

Déjà les esprits s’aigrissent. A Leipzig, on regarde avec désespoir partir, le 27 mars, un gros contingent pour le 106e : « Les 106 doivent avoir encore eu de bien grosses pertes. Espérons que cette cochonnerie finira bientôt. » Et le ton montant avec l’exaspération : « On devrait refuser de marcher, et cela serait la fin. Les Grands n’ont qu’à se débrouiller tout seuls. Après tout, cela nous est bien égal d’être Français, Anglais ou Russes. Ici, c’est une vraie misère. Si ça continue quelque temps, il y aura ici un sérieux grabuge. »

Deutschland uber alles !