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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/941

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aussi de songer à remercier le nouveau venu, Wagner fixa sur ce dernier le regard glacé de ses yeux de métal, et lui demanda de quel droit il se permettait de l’interpeller. Et comme son interlocuteur, en réponse, lui faisait savoir qu’il était depuis un quart de siècle le médecin du village :

— Oh ! oh ! interrompit Wagner, vous êtes ce médecin qui déjà, tout à l’heure, a eu l’aplomb de délivrer un certificat à la veuve d’un espion exécuté par mes ordres ; et voici que vous osez de nouveau critiquer mes actes ! Allons, qu’on me fusille cet individu !

Et ces soldats qui déjà ne s’étaient pas fait scrupule de tuer une vieille femme et un jeune garçon n’eurent pas, non plus, l’ombre d’une hésitation à sacrifier la nouvelle victime. Dès l’instant d’après, un joyeux rayon de soleil, qui avait réussi à se dégager d’un monceau de nuages, éclairait, sur la route, trois cadavres gisant à quelques pas l’un de l’autre.


Il faut savoir qu’avant même de procéder à ces « exécutions, » le colonel Wagner avait remis aux officiers de son régiment la copie d’un « ordre du jour » composé par lui, et dont lecture avait été donnée à chaque compagnie. « Soldats, — y disait le colonel prussien, — votre serment militaire vous contraint à suivre docilement tous les ordres de vos chefs, qui sont auprès de vous les représentans de notre auguste Empereur. Apprenez que nous allons aujourd’hui faire un grand exemple, dans ce village qui, du reste, a été depuis longtemps un nid de francs-tireurs, ennemis implacables du nom allemand ! Aussi s’agit-il pour vous de ne pas hésiter dans l’accomplissement de l’œuvre de destruction dont vous avez eu l’honneur d’être chargés ! Et puis, quand cette œuvre sera terminée, il y aura pour vous abondance de bonnes choses à manger et à boire, sans compter que chacun de vous pourra prendre sa part d’un butin dont la possession vous revient de plein droit ! » De telle sorte que l’on imagine aisément ce qu’a été ensuite, durant toute cette tragique matinée du 8 août, le sort de la centaine de vieillards, de femmes, et d’enfans restés à Francorchamps, — tandis qu’un grand nombre de leurs voisins avaient eu le bon esprit de quitter le village dès les jours précédens.

L’ « exploration » de la villa Simonnet, en particulier, avait été confiée par le colonel Wagner à l’un de ses officiers les plus énergiques, le capitaine Winterhalter, qui longtemps avait demeuré à Stavelot, en qualité d’espion. Le capitaine avait pris avec soi dix hommes, parmi lesquels figurait l’un de ses anciens collaborateurs, le sous-officier Fritz Lehmann, qui, celui-là, tout en se livrant pareillement à l’espionnage, avait longtemps conduit la diligence publique entre Stavelot et Malmédy. Les dix hommes avaient été rangés