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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/955

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ou qui que ce soit des princes de la maison d’Autriche qui commande dans le Trentin, peut-être tous les trois ensemble, comme s’il se fût agi pour eux de rentrer en possession d’un antique domaine de famille, ils ont si bien l’impression que sur ce point ils ne perceront pas, qu’ils songent, dit-on, à faire glisser leur offensive sur une autre voie d’invasion, à l’Ouest du lac de Garde, par Riva, vers Brescia. Pas plus là qu’à Rovereto, les Italiens ne seront surpris.

Il n’est pas un coin, pas un pouce de ce territoire prédestiné qui ne soit parfaitement connu de chacun des deux adversaires : pour s’y conduire sans tâtonnemens, ils n’ont qu’à consulter les archives de leurs états-majors. Le général Cadorna, en particulier, marche jusqu’à l’Isonzo dans les pas paternels. À bien d’autres égards, les Italiens ont sur les Impériaux une supériorité certaine. Si les Austro-Hongrois occupent les positions dominantes, celles que leur politique, en traçant les confins, avait eu soin de leur ménager, et si, de là, leur grosse artillerie peut couvrir d’obus de vastes circonférences, en revanche, l’armée italienne les guette, bien retranchée, elle aussi, au débouché des montagnes dans la plaine. Sortir d’un défilé et se déployer à la sortie est toujours, au dire des experts, une opération difficile, en face d’un ennemi déjà déployé ; dangereuse ici où il n’y a dans la muraille qu’une brèche, large seulement de dix à douze kilomètres, entre le costone d’Arsiero et le costone d’Asiago, que les Italiens ont garnis l’un et l’autre et qui prendraient l’envahisseur sous leurs feux convergens. Les Autrichiens, par conséquent, ont pour eux la hauteur, mais les Italiens ont l’espace. Et pour toute sorte de raisons, l’armée italienne a une liberté de manœuvre beaucoup plus grande. Elle a derrière elle un réseau serré de chemins de fer ; trois lignes aboutissant aux Alpes, directement au front : Padoue-Vicence-Thiene-Schio ; Venise-Padoue-Castelfranco-Gittadella-Bassano ; Venise-Trévise-Montebelluna-Feltre ; avec leurs transversales, doublées, multipliées par de bonnes routes qui lui permettent d’amener des réserves, de s’approvisionner, de se ravitailler. Or, elle a des réserves en abondance ; de quoi noyer, si même elles ne les écrasaient pas, les quarante-deux divisions que les Autrichiens ont, paraît-il, sur toute l’étendue du front italien, les seize ou dix-huit divisions qu’ils ont sur la partie présentement active du front, entre le Val Lagarina et le Val Sugana, entre l’Adige et la Brenta. L’Italie a le nombre ; elle a un matériel qui s’accroît de jour en jour, et qu’elle travaille à accroître encore, le tirant de partout où elle peut le trouver. Plus que tout cela, plus que les hommes et les canons, plus que la force et le nombre,