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un si mauvais temps qu’on le pressa de retarder, pour la sécurité de son voyage, que les torpilleurs ne pouvaient pas éclairer. Il refusa. Il dort maintenant dans la mer, terre britannique, où des braconniers peuvent bien sournoisement venir à la maraude, mais qui ne sera jamais leur terre et d’où ils seront à jamais chassés. Ils ont pu le frapper, mais son œuvre survit. En lui, une force anglaise disparaît ; mais la force anglaise est intacte, accrue par lui, et, par lui, croissante après lui.

Mes douze pages sont remplies, douze pages, forme fixe pour les quinzaines vides des étés paisibles, des étés passés, et pour ces terribles quinzaines où les événemens poussent si dru que chacune de nos chroniques exigerait un volume. On me pardonnera de ne pouvoir que noter, en éphémérides, tant de faits qui auraient mérité d’être retenus. Paris et la France ont fait au général Galbéni de triomphales funérailles. Galliéni avant Kitchener, ce n’est pas la mort seule qui rapproche ces deux noms ; les deux hommes furent très près l’un de l’autre ; l’un plus carré, plus musclé, plus trapu, l’autre plus fin, plus nerveux et plus souple sous une apparente raideur. — Au loin, encore une fin de vie qui est la fin d’une histoire : celle de ce Yuen-Chekai, président et empereur, dictateur de la Chine, dont la Revues, retracé récemment la carrière romanesque, entretenue par l’intrigue, ensevelie dans le mystère. — Par-dessus ces vies et ces morts, par-dessus la vie et la mort, la victoire, celle-là certaine et grandissante, des Russes en Volhynie. — Et, comme c’est la loi de l’humanité que le comique se mêle au tragique et à l’épique, le discours du chancelier de l’Empire allemand, s’excusant pour la dixième fois d’avoir provoqué la guerre, se défendant contre une brochure que tout le monde à présent voudra lire, tonitruant, en une fanfaronnade qui tremble, que l’Allemagne ne veut ni d’un demi-triomphe, ni d’une demi-paix, ni d’un demi-butin. La paix, « sur le terrain de la carte de guerre. » Soit, nous verrons cette carte dans quelques mois. Douaumont et Vaux ne sont pas Verdun, qui n’est pas la France. Jusque là, nous dirions, si nous parlions tout net, que les propos de M. de Betbmann-Hollweg sont extravagans. Il vaut mieux dire, avec une périphrase, que c’est le discours d’un homme que Jupiter a déjà touché.


Charles Benoist.
Le Directeur-Gérant,
René Doumic.