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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/135

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épuisés que, même rajeunis par des effectifs nouveaux, ils sont incapables d’offensive. Reste donc cette armée du prince de Bavière, qui, avec la IVe armée à sa droite et la IIe à sa gauche, forme un total de 40 divisions d’infanterie, soit environ 500 000 combattans. Ces combattans sont répartis sur un front qui, à vol d’oiseau, n’atteint pas 150 kilomètres ; il faut y compter plus de 3 hommes au mètre courant, ce qui est une densité de combat.

Définir cette masse, étudier ce front, montrer comment il a été établi et quelles y sont les conditions de la lutte future, tel est l’objet de cet article.


I

Quand, au bord de la mer, à la hauteur de Nieuport-Bains, par une belle journée de printemps, on regarde vers le Nord, le spectacle est singulier. On est dans un paysage de sable pâle, une onduleuse entrée de désert, aux dunes coiffées de plaques d’oyats. A gauche, en contre-bas, la plage où la mer déroule son flot vert. Un air pur, un ciel bleu et blanc, un grand silence. La forme des maisons bombardées est encore debout. Les dunes paraissent inhabitées. La grand’route pavée, claire et nue qui suit la côte, mène droit des lignes françaises aux lignes allemandes. Les deux adversaires voient ensemble cette route commune. Un rassemblement attire le canon.

J’y suis allé par un jour calme. Point d’action engagée. Pour passer le temps, une batterie de 75 réglait son tir, aidée par ses avions qui volaient au-dessus d’elle. On entendait dans l’air tranquille les coups isolés. Le réglage terminé, les détonations pressées d’une salve roulèrent un instant, et le silence s’établit de nouveau. Les Allemands ripostaient à la fois sur nos pièces et sur nos avions. On reconnaissait au loin le départ sourd de leurs coups. Un obus passa en gémissant. Un autre vint tomber derrière une crête d’où, s’éleva une fumée noire. Contre nos avions, les shrapnells éclataient deux par deux : on voyait soudain se former dans le ciel deux champignons blancs, lumineux ; après quelques secondes, on entendait l’explosion, et la masse entière de l’air paraissait vibrer. Cependant l’avion menacé volait en cercle, comme font les buses au haut des arbres. Des soldats regardaient le duel. Ce fracas troublait le calme universel