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ne soit musical, qui ne vienne des instrumens aujourd’hui silencieux : du piano de palissandre, où les objets se reflètent comme dans un miroir ; du violon de Guarnerius, endormi dans sa « custode » de velours vert olive ; d’un pupitre même, sur lequel une page de musique abandonnée semble doucement palpiter au souffle et selon le rythme de la brise pénétrant par la porte rouverte. Le silence est animé de menus bruits mystérieux. L’air vif, la chaleur du jour fait tressaillir les libres des meubles immobiles. Une multitude légère et murmurante sort de toutes choses sur les pas du survivant, et l’environne.

Mais surtout, il est un élément, une force de la nature, dont le romancier-poète des Vierges aux rochers a célébré, glorifié la beauté sonore c’est l’eau, ce sont les eaux, les « grandes eaux, » qui jaillissent dans les jardins solitaires et sous les mains, elles-mêmes harmonieuses, des trois princesses de rêve : Anatolia, Violante et Massimilla. Musicales toutes trois, même quand elles gardent le silence, elles forment un parfait accord. Tandis qu’il gravit, derrière elles, les degrés de leur triste palais, Claudio les voit monter, les trois sœurs, non pas seulement devant ses yeux, mais dans son désir, dans sa prière, chacune d’elles obéissant à la musique secrète qui dirige leur destin vers un but inconnu.

Imaginations, direz-vous, et rêveries. Mais voici de réels et magnifiques concerts. Voici, muette encore, mais déjà prête à chanter, toute une architecture de pierre et de marbre, un ensemble pompeux de chevaux neptuniens, de tritons, de dauphins et de vasques à triple étage. Aidée par Claudio, l’une des trois sœurs, Anatolia, soulève le disque de bronze dont la clef retenait l’eau prisonnière. « Ce fut un moment d’attente anxieuse, comme si toutes les bouches des monstres allaient nous donner une réponse. Involontairement, j’imaginai la volupté de la pierre envahie par cette vie fraîche et fluide et j’en crus sentir en moi-même l’impossible frémissement. » Alors commence, et se développe, et s’exalte, un poème à la fois pittoresque et musical, éblouissant, retentissant aussi, où l’on ne sait trop quelles images et quelles sensations, visuelles ou sonores, ont le plus de puissance, d’éclat et de beauté. « Symphonialis est aqua, » disait le Moyen Age. Et depuis, jamais écrivain n’avait ainsi commenté cette parole, traduit, égalé, surpassé peut-être cette symphonie.

Sensible à la musique des choses, d’Annunzio l’est naturellement plus encore à celle dont les êtres, et tous les êtres, simples