Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En vérité, lorsqu’il vient à lire, à relire de telles pages, un critique musical de notre connaissance, et qui, lui-même, par la naguère de l’opéra de Marcello, ne peut que s’excuser, avec un peu de honte, d’en avoir si pauvrement parlé.

« Le chant croissait en force ; dans l’essor, les voix se fondaient… Mais, tout à coup, surgissait, des sonorités héroïques, un large rythme pastoral évoquant le Bacchus thébain au front pur, ceint de pensées suaves… » Puis l’esprit de la « fugue passait dans l’orchestre et s’y déployait en belles volutes légères, tandis que les voix battaient sur la trame orchestrale avec une percussion simultanée. » Enfin, c’était l’acclamation dernière et la suprême explosion d’allégresse. Le tumulte s’apaisait peu à peu. Une voix solitaire, une voix féminine, ardemment attendue, désirée, allait se faire entendre. « Quelqu’un chuchota près de Stelio le nom de Donatella Arvale. Il tourna les yeux vers l’estrade, par-delà les violoncelles, qui formaient une haie brune. La cantatrice, demeurait invisible, cachée dans la forêt délicate et frémissante d’où allait sortir l’harmonie douloureuse qui accompagne la lamentation d’Ariane.

« Enfin, dans le silence favorable, monta un prélude de violens. Les violes et les violoncelles unirent à cette plainte suppliante un plus profond soupir. N’était-ce pas, après la flûte et le crotale, après les instrumens orgiaques dont les sons troublent la raison et provoquent le délire, n’était-ce pas l’auguste lyre dorienne, grave et suave, harmonieux support du chant ?… » Bientôt, les lèvres de la chanteuse s’entr’ouvrirent : « La mélodie de l’antique amour et de l’antique douleur coula de cette bouche avec une expression si pure et si forte, que, soudain, dans l’âme innombrable, elle se convertit en une félicité mystérieuse. Etait-ce bien la divine plainte que jetait la fille de Minos, abandonnée sur la rive de Naxos déserte, les bras en vain tendus vers le blond Etranger ? La fable s’évanouissait, l’illusion du temps était abolie. Ce qui s’exhalait dans cette voix parfaite, c’était l’éternel amour et l’éternelle douleur des dieux et des hommes. L’inutile regret de toute joie perdue, le rappel de tout bien fugitif, l’imploration suprême s’enfuyant à toute voile à travers les mers, se cachant à tout soleil derrière les montagnes, et l’implacable désir, et la nécessité de la mort, toutes ces choses passaient dans le chant solitaire, transmuées par la vertu de l’art en sublimes essences que l’âme pouvait