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Et La Coupe enchantée ne vaut pas Joconde, à beaucoup près ; mais il y a, dans La Coupe enchantée, ces deux vers :


Ménélas rencontra des charmes dans Hélène
Qu’avant d’être à Paris la belle n’avait pas…


Avec l’idée de ces deux vers si jolis, La Fontaine aurait pu faire tout un conte, une comédie, un roman de petite honnêteté, de vif agrément. Les deux vers lui suffisent ; et ils suffisent. La Fontaine n’épargne pas ses trouvailles. Il les prodigue. Elles sont perpétuelles, dans les Contes, variées, attrayantes. Et elles ont un charme périlleux, tel que M. Michaut nous est bien utile, quand il nous avertit de ne pas céder à tant de séductions.

Ce n’est pas tout ce dont nous remercierons M. Michaut. Mais il a très finement examiné, très finement et avec un loyal entrain, la plupart des problèmes que posent la vie de La Fontaine, l’histoire de ses œuvres, ses œuvres même. Par exemple, il y a, dans le roman de Psyché, quatre personnages, Polyphile, Acante, Ariste et Gélaste, à propos desquels les critiques ne sont pas unanimes. Généralement, on veut que Polyphile soit La Fontaine ; Acante, Racine ; Ariste, Boileau ; Gélaste, Molière. Ce serait fort agréable : nous aurions le portrait de La Fontaine par lui-même et le portrait de Racine, de Boileau, de Molière par leur ami. Seulement, Walckenaër reconnaît Boileau dans Acante et Racine dans Ariste. Saint-Marc Girardin prend Gélaste pour Boileau et Ariste pour Molière. M. Roche, l’auteur d’une précieuse Vie de Jean de La Fontaine, se demande si Gélaste ne serait pas Molière d’abord, et puis Chapelle. Enfin, quant à ce Gélaste, Faguet déclare qu’ « on ne sait pas qui c’est. » Molière, non ; Chapelle, peut-être : « ou plutôt on doit renoncer à donner aucun nom réel. » La question n’est pas facile à résoudre, et d’autant moins qu’aux argumens les plus rigoureux se mêlent d’autres argumens, de l’ordre sentimental : « Que l’on a de peine à ne plus trouver Molière dans la société des Amours de Psyché ! » s’écrie M. Paul Mesnard ; et nous éprouvons, avec lui, ce regret. Je ne dis pas que M. Michaut ne l’éprouve pas du tout ; mais il résiste là contre et n’est pas la dupe de son cœur. Il écoute sa raison, qu’il a très nette. Il discute ; et il arrive à cette conclusion. La Fontaine, dans Polyphile, Acante, Ariste et Gélaste, n’a pas eu l’intention de peindre lui-même et tels de ses amis. Ses personnages sont des personnages de roman ; si l’on veut, des personnages de dialogue philosophique : chacun d’eux représente une opinion. D’ailleurs, il a pu emprunter à ses amis