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le convertir, ou de le ramener plutôt, ne rencontrera de sa part aucune répugnance aux mystères et miracles ; mais il ne le persuadera point aisément de craindre l’enfer et les châtimens éternels : c’est que La Fontaine, avec bonne foi, ne parvient pas à croire la vie assez importante pour mériter de telles représailles.

Si la vie est peu importante, elle admet la « plaisanterie, » d’où résulte quelque tristesse et qu’il faut égayer. La volupté est un secours.


Volupté, volupté, qui fus jadis maîtresse
Du plus bel esprit de la Grèce,
Ne me dédaigne pas, viens-t’en loger chez moi.
Tu n’y seras pas sans emploi.
J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout : il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.


Le « plus bel esprit de la Grèce » organisait le bonheur. La modestie de La Fontaine veut, souhaite plutôt, qu’il se contente du plaisir. Il en a paré sa vie et ses poèmes, sans orgueil et avec adresse. Le « passe-temps » a été l’objet de son art et de sa conduite ; et il lui a donné des grâces tantôt rieuses, tantôt souriantes à peine et dont le sourire cache ou esquive du chagrin. Tout allait bien, sans la mort ! Mais, quand il fut à l’article de mourir, il écrivit à son ami le chanoine : « O mon cher ! mourir n’est rien. Mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. »

Il y a la mort ! et même en un temps jadis où la vie était douce, anodine, et pouvait être inutile avec innocence.


ANDRÉ BEAUNIER.