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autres n’enseignent la gaîté. A l’image de son sol et de son histoire, il est grave. Dans les étroitesses de sa fortune présente, le souvenir d’un passé où il fut le premier ajoute à ce sérieux une susceptibilité qui trouve souvent, et cherche peut-être, les occasions de souffrir. Il aime les temps où nos fortunes traitaient en égales, où ses infantes devenues nos reines renouvelaient le sang de nos rois, tandis que sa littérature venait féconder la nôtre, dans une aussi noble union. Mais après le XVIIe siècle, le dernier où la France ait eu du sérieux et l’Espagne du bonheur, les destinées se séparent. Les nôtres demeurent éclatantes, les siennes vont s’effaçant, et tandis que nous imposons nos succès ou nos revers à l’attention du monde, notre voisin immobile sent s’épaissir sur lui l’obscurité de l’isolement, et, plus jaloux dans sa puissance amoindrie, a peur d’être devenu pour nous un parent pauvre. Ne s’occupe-t-on pas de lui, on le néglige : s’en occupe-t-on, on le méconnaît. Tantôt les Pyrénées trop hautes élèvent entre lui et nous un grand mur d’oubli, tantôt trop accessibles elles laissent passage à nos offenses, à l’irrespect de nos surprises, de nos critiques, de nos incompréhensions, devant ses œuvres, ses sentimens, ses mœurs, ses goûts. Un peu oublieux des Français qui n’ont pas cessé d’être pieux et tendres pour toutes ses gloires, il garde quelque rancune à l’homme qui rit, au Français qui n’a vu dans les Espagnols que des rôdeurs de balcon, des tueurs de taureaux, des rouleurs de cigarettes et des racleurs de guitares.

Serait-il vrai que ces griefs de l’Espagne contre la France soient querelles d’amoureux, que, précisément depuis le XVIIIe siècle, les précédentes concordes des deux pays aient été fortifiées par une union plus continue, plus intime, plus essentielle, et que la sympathie soit une conséquence forcée des doctrines entre deux peuples parvenus à penser de même sur les droits des hommes et l’avenir des sociétés ? Il y aurait au contraire une extrême légèreté à tenir les emprunts de la politique espagnole à certaines méthodes de la Révolution Française comme la preuve d’une solidarité intellectuelle et morale. Et il n’y a pas plus dangereuse méprise dont il faille éclaircir les confusions.

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’Europe faite par les débris de l’Empire romain vivait de stabilité. Elle avait, comme règle