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pousse l’homme à visiter toutes les beautés de la terre. Sainte émotion, mais où perce peut-être un peu de l’amour-propre du voyageur heureux de s’être avancé plus loin que les autres. Il nous semble l’entendre : « Mon Dieu, pardonnez-moi si cet amour-propre, cette curiosité, se sont mélangés aux pieuses convoitises d’un cœur qui ne bat que pour vous ! Désormais, je retourne à un monde défloré, dont je connais les aspects, les tristesses, les dangers, où je connais tout, sauf les nouvelles misères qu’il vous plaira de m’y envoyer…Ce Mansilhas ! Quelle ingratitude !… Je reviens sur mes pas ; mais j’aurais souhaité d’aller au-delà, et encore au-delà. Je reverrai mes pêcheurs de Comorin et ceux du Travancore, et les Portugais de Goa. Et pourtant, ils ont moins besoin de moi que tant d’autres qui vous ignorent comme moi-même j’ignore leur nom. La Chine a des attraits confus. Mais aucune voix ne m’y appelle. Votre volonté ne semble point que j’y aille. Seigneur, où m’avez-vous préparé mon tombeau ? L’Inde est vaste. Et il y a Ceylan. O mon Dieu, donnez-moi d’y annoncer votre parole et d’y établir votre règne. A quoi lui servent les trésors dont elle se vante et les amans dont elle fait la fière ? Mes yeux sont pleins de larmes à l’idée des belles îles que vous avez tirées du sein des flots et qui languissent dans leur opulence, ne sachant pas qui vous êtes, ne sachant même pas que vous êtes ! » Et, tout en songeant ainsi, François se rend à l’église où il doit célébrer un mariage.

Pendant qu’il officie, deux hommes sont entrés et s’arrêtent près du seuil. L’un est Portugais ; l’autre, qui paraît tout petit et tout menu, pourrait être un Malais ; mais son teint est plus foncé, ses yeux plus bridés ; il porte des vêtemens sombres et un sabre dont le fourreau de laque ne ressemble pas à ceux de la Malaisie. Sa main fine serre le manche d’un éventail qu’il a passé dans sa ceinture. Son compagnon s’est penché à son oreille, et, lui indiquant le prêtre : « Voici, dit-il, celui que vous avez tant cherché. » Le petit homme jaune sourit, incline la tête et aspire un peu d’air entre ses dents. La cérémonie se termine. Les nouveaux époux sortent : l’homme, content de lui ; la femme, une métisse, toute brillante de sa vertu neuve, car, n’en doutez pas, ce mariage n’est qu’une réconciliation avec Dieu, que le Père maître François a encore opérée. S’il n’a pas marié autant de Portugais qu’il a baptisé d’indigènes, c’est que les Portugais étaient en infime minorité ; mais, relativement,