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pas d’un bon chrétien de se laisser ainsi dominer par la douleur, avait dit le doyen : il devait se soumettre à la volonté de Dieu. » „ Le doyen s’y était soumis avec une satisfaction évidente. Ces événemens étaient déjà vieux de onze mois ; mais l’évêque en tremblait encore. Tout allait de mal en pis : concussions triomphantes, impunités scandaleuses ; les chrétiens indigènes pressurés ; les juges et les capitans toujours à vendre et à revendre. Et le vice-roi ? C’était maintenant Jean de Castro, l’ancien explorateur de la Mer-Rouge. Il avait inauguré son règne par une victoire sur les Musulmans, qui avait sauvé l’empire portugais. Au Nord de Goa, à Diu, ces mécréans avaient juré, de baigner dans le sang des Frangui leurs moustaches retroussées et tordues ; mais Jean de Castro les avait taillés en pièces. En avril, il était rentré à Goa, le front ceint de lauriers, traînant à sa suite des captifs enchaînés ; et de toutes les fenêtres, de tous les balcons pleuvaient sur lui des fleurs et des parfums. Il avait vaincu comme un chrétien et triomphé comme un païen. Il manquait de modestie ; et, bien qu’on n’eût rien à lui reprocher du côté des mœurs, on aurait pu souhaiter un gouverneur plus zélé pour la religion. Le Roi, en réponse aux lettres de François et d’après les rapports de Michel Vaz, lui avait adressé des instructions sur la répression des abus et des idolâtries ; mais elles l’avaient mis de fort méchante humeur. Il se plaignait de l’ingérence de l’Eglise dans les affaires politiques de la colonie. Et l’on en était toujours au même point. A Goa, les artisans païens continuaient de ciseler leurs affreuses idoles. A Cochin, les sorciers continuaient de mêler leurs sorcelleries à la vente du poivre. Les nouveaux convertis n’étaient ni soutenus ni récompensés. Les pêcheurs travaillaient à des prix dérisoires pour le compte des seigneurs capitans. Les Portugais vendaient, comme par le passé, des esclaves aux Infidèles. Et les membres du clergé se déchiraient souvent entre eux.

François écouta les doléances de l’évêque. Elles le confirmèrent dans sa résolution de partir au plus vite pour le Japon ; et il écrivit deux lettres, l’une au Roi, l’autre à Simon Rodriguez. Dans la première, il se déclarait incapable de supporter plus longtemps la situation que le gouvernement de l’Inde faisait à la religion chrétienne ; et il suppliait le prince de sévir. Trois ans auparavant et l’année précédente encore, d’Amboine, il lui avait proposé un remède dangereux :