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seule idée, un seul instinct subsiste en eux : voir cesser l’affreux cauchemar. J’ai rencontré maintes fois des cadavres dont le visage reflétait une expression de béatitude infinie que nulle description, nul pinceau n’auraient su fixer. On devinait que ces hommes avaient eu le temps de bénir la mort qui venait les délivrer et qu’ils avaient eu la vision brève d’une éternité de repos et de douceur sans torpilles et sans obus.

Malgré la violence du tir de riposte, l’assaillant a le moral moins affecté par le bombardement. D’abord, il sait qu’il doit attaquer ; ensuite, si l’attaque a été bien préparée, il profite d’une supériorité matérielle dont les effets sont bientôt apparens. Au moment voulu, les vagues d’assaut se forment et partent. Parfois, l’adversaire a su attendre et il a pu dissimuler ses moyens d’action. A l’allongement du tir de l’attaque correspond un tir de barrage infranchissable qui est dirigé sur les lignes et places d’armes où sont rassemblés les assaillans ; les patrouilles de reconnaissance sont arrêtées par des réseaux intacts ou par des mitrailleuses bien servies et les survivans reviennent comme ils peuvent dans la tranchée de départ. On n’insiste pas et l’on se réserve pour une meilleure occasion. C’est ce que les combattans appellent « une attaque de pied ferme, » et les communiqués officiels des deux partis la traduisent identiquement par te cliché connu : « L’ennemi n’a pu déboucher, » ou : « Après avoir éprouvé des pertes énormes, l’ennemi est rentré dans ses tranchées. »

Quand l’enthousiasme et la foi précèdent les assaillans, comme au début de la bataille de Champagne, on assiste à un spectacle inoubliable. Semblables à la marée montante, les « vagues » d’infanterie mordent peu à peu la zone attaquée, recouvrent successivement les lignes de la défense que l’artillerie a désagrégées ; çà et là, elles tourbillonnent en remous devant un obstacle qui cède à son tour. Dans l’espace submergé, quelques îlots subsistent encore : ce sont les « centres de résistance » où des garnisons bien commandées, bien abritées, ont pu se maintenir et que le souci de leur honneur militaire, ou l’esprit de corps, fait lutter avec l’énergie du désespoir ; mais, battus à coups pressés par l’assaillant qui recule pour s’élancer de nouveau avec plus de fureur, leurs défenseurs disparaissent l’un après l’autre dans la captivité ou dans la mort. Puis, le flot des assaillans devient étale ; épuisé par sa violence même,