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aux besoins de nos cœurs, que nous offre notre poésie. Il dit la beauté non moins que la dangereuse illusion de nos visions d’universelle concorde ; il ne nous blâme pas de les avoir connues. Le Guerrier demande au contraire au Vieillard d’entretenir en lui-même ce rêve magnifique qui fait l’esprit de l’homme supérieur au dur destin dans lequel sa vie est enfermée. Mais il réclame la constante vigilance d’un réalisme farouche, l’inlassable préparation des corps et des cœurs a, repousser les assauts des « barbares. » Ceux-ci ne sont-ils pas, et pour longtemps, la majorité parmi les hommes, et, quand on les croit réduits à quelques tribus incultes et hurlantes de l’Afrique et de l’Asie, ne les voit-on pas subitement apparaître au cœur même de l’Europe, forts de toutes les inventions de la science, voire parés à leurs propres yeux de la mission civilisatrice ?


Écoute encor ceci, vieillard : la Barbarie
Commence autour de nous où commence l’envie !
Partout où le sol est plus riche, où quelque port
Est la clef d’une mer, où des monts emplis d’or
Promettent la richesse à qui tiendra leurs mines,
Où les vignes parant les pentes des collines
Versent dans les celliers un flot pourpre ou vermeil,
Alors que le vin manque aux versans sans soleil,
Sous des masques divers reparaît le Barbare.
Le prétexte est bientôt forgé pour qu’il s’empare
Des champs, de l’estuaire, ou des monts ou des vins.
Tu lèveras au ciel des bras chétifs et vains,
S’ils ne montrent aux dieux qu’ils tiennent, l’un le glaive,
L’autre le bouclier. Et sans cesse ton rêve,
Entre la servitude et la guerre écrasé,
Se débat, se meurtrit et retombe épuisé.
Être un peuple qui lutte, une race qui tremble,
Il faut choisir, vieillard, et pour longtemps ! Il semble
Que le destin de l’nomme est de porter du fer.
Il faut, selon qu’il a le cœur servile ou fier,
Qu’il le porte en guerrier, ou le porte en esclave !…


La France a fait son choix avec une décision unanime dont elle s’est montrée justement fière, après s’être si longtemps acharnée à détruire par l’analyse et le scepticisme son héroïsme traditionnel. Si la mort avait accordé au poète des Dialogues un répit de quelques années et lui avait permis d’atteindre les