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De ce village, Green est transporté à l’hôpital civil de Cambrai, où sa plaie ne tarde pas à se cicatriser, mais en le laissant pour toujours incapable de se servir de l’une de ses jambes. « Depuis lors jusqu’à mon retour au pays, nous dit-il, aucun médecin ni aucun infirmier n’a plus pris la peine de s’occuper de moi. » Et puis, le 16 octobre, pendant qu’il est encore trop faible pour se lever, voici que les Allemands viennent le reprendre, le jeter dans un wagon qui va le conduire au camp de Darmstadt !


Je n’étais pas dans ce wagon depuis une heure, qu’arrive devant moi un officier allemand qui m’arrache mon manteau, et me frotte le visage avec ma blague à tabac ! A neuf heures, on nous donne trois ou quatre cuillerées de fèves noires, avec une goutte de café. Nous démarrons vers minuit, d’un pas de procession. Le lendemain, traversée de la Belgique. Ce que nous voyons du pays est horrible : des maisons abattues par des obus ou par l’incendie, et des Allemands partout, rien que des Allemands. Encore allions-nous être bien plus mal servis le jour d’après, en territoire allemand. A chaque arrêt du train, une foule de gens du pays venaient nous bafouer, nous mettre le poing sous le nez, nous cracher au visage. C’est seulement au bout de trois jours et demi de route que nous arrivâmes à la gare de Darmstadt, le 19 octobre, vers six heures du soir. On nous fit descendre du train : nous étions une vingtaine d’Anglais, tous plus ou moins estropiés. Nous eûmes à nous asseoir sur des bancs, dans la gare, et la population de la ville fut admise à venir se payer notre vue. C’est là que nous en avons entendu, des « cochons d’Anglais ! » On nous a laissés là pendant trois heures, après quoi, de nouveau, l’on nous a fourrés dans des wagons, avec la ville entière nous suivant, hurlant des Schweins ! et nous lançant à la tête toute sorte d’ordures. Et puis encore une heure de route, et nous arrivâmes à la prison.


Cette prison de Darmstadt, où M. Arthur Green n’a d’ailleurs demeuré que jusqu’au mois suivant, a eu pourtant de quoi lui donner déjà, — selon sa propre expression, — un « avant-goût » des agrémens coutumiers de la vie du prisonnier anglais. Les vingt éclopés, en y arrivant, avaient eu à s’installer de leur mieux dans une salle où se trouvaient logés 200 « civils » français ; et c’est là que notre misérable héros s’est vu contraint de passer presque tout le temps de son séjour à Darmstadt, faute pour lui de pouvoir encore se procurer des béquilles. La nourriture, en vérité, était « relativement bonne : » mais les autorités allemandes, connaissant la passion de tout soldat anglais pour la cigarette ou la pipe, avaient imaginé dès lors de faire « expier » aux nouveaux venus la conduite « scandaleuse » de sir Edward Grey en leur interdisant strictement de fumer, — sous peine de se voir infliger « sept ou huit jours de cellule ! » Après quoi ce fut