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compagnons de M. Arthur Green s’enhardit à lui répondre : « Revenez demain matin, monsieur l’ambassadeur, et flairez seulement la marmite à soupe : je vous garantis que vous n’aurez plus envie de rien manger, de toute la journée ! »


Par degrés, cependant, le sort des prisonniers anglais commençait lentement à s’améliorer. Un hasard qu’ils ne pouvaient s’empêcher de regarder comme « providentiel » les avait délivrés du plus puissant à la fois et du plus méchant de leurs geôliers, un terrible « sergent-prévôt » qui avait sous ses ordres le reste des gardiens. « Cet odieux personnage ne cessait pas de mettre son nez partout, toujours armé d’un gros bâton, et toujours prêt à frapper les prisonniers sans aucun motif, simplement pour leur montrer son pouvoir sur eux. Combien j’en connais qui ont dû entrer à l’hôpital, pour l’avoir rencontré sur leur chemin ! Or donc, une nuit, voilà qu’il est allé du côté du cimetière ; et voilà que la sentinelle, se figurant que c’était un prisonnier qui voulait se sauver, a fait feu sur lui, et, pour notre grande chance, l’a blessé à mort ! Nous n’avons appris la chose que trois mois plus tard, et sans trop de chagrin, je vous en donne ma parole ! » Il est vrai que, dès que l’un de ses nombreux successeurs manifestait une tendance à se montrer plus bienveillant, aussitôt ses chefs l’enlevaient de là pour l’envoyer « sur le front. » Mais il n’en reste pas moins que, depuis cette mort du premier « sergent-prévôt, » l’atmosphère du camp était devenue un peu plus respirable.

Au mois de mai, les soldats anglais ont été autorisés à correspondre, tous les quinze jours, avec leur famille, et à recevoir des paquets de provisions. Écoutons encore le récit de l’arrivée au camp du premier paquet :


Enfin, un matin, mon camarade Burgess reçoit l’ordre de se présenter au bureau, vers quatre heures, pour prendre livraison d’un colis. Nous n’en croyions pas nos oreilles. Nous étions follement agités, incapables de nous tenir tranquilles, nous demandant ce que pouvait être ce paquet, et ce que nous allions en faire quand il viendrait, et si, peut-être, il n’allait pas nous être volé au dernier moment. Ah ! comme la journée nous a paru longue ! A quatre heures, mon Burgess s’en va avec sept ou huit camarades : mais quant à moi, j’étais forcé de rester dans la salle, en raison de ma maudite jambe. Et puis, voilà que nos hommes reviennent, criant et riant, avec une caisse à savons anglaise ! Pas un des Russes de la chambrée qui ne s’approche, pour jouir du spectacle. On enlève le couvercle, et quel soupir de soulagement lorsque nous découvrons le contenu de la caisse I Burgess avait les souliers demandés, ce qui prouvait que